Le Maréchal Suchet
trop nombreux convois. Sa voiture s’embourba à plusieurs reprises et il fut contraint de terminer sa route sur un cheval de poste, encore heureux d’avoir pu en trouver un.
Ce ne fut qu’à Burgos, en Espagne, qu’ayant bénéficié depuis la frontière d’une solide escorte, il rejoignit sa division, juste avant la fin de l’année.
VI
DÉCOUVERTE DE L’ESPAGNE
(1809)
Le royaume d’Espagne en ce début du XIX e siècle était en pleine décadence. L’économie apparaissait dans un état calamiteux : aucune industrie, ou presque ; une agriculture encore moyenâgeuse ; un commerce quasi inexistant. Les classes sociales étaient figées : une paysannerie misérable et inculte, une noblesse besogneuse avec quelques grandes familles très riches, une bourgeoisie active mais presque inexistante et un clergé tout-puissant, riche mais composé d’une majorité de prêtres faméliques, ignorants et fanatiques. Avec cela, malgré leur misère, des individus ombrageux, fiers et courageux jusqu’à la témérité.
Malgré les efforts de la royauté, il avait été impossible d’abolir l’Inquisition. Par certains côtés, le pays vivait encore en plein Moyen Âge. L’insécurité régnait partout. Bandits et contrebandiers couraient le pays, aidés par la population et la nature tourmentée du terrain où ils multipliaient les repaires. Les souverains étaient assez populaires parce qu’ils ne changeaient rien à l’ordre des choses. Le roi Charles IV, se voulant du siècle des Lumières, avait esquissé de vagues réformes. Il avait interdit les courses de taureaux à Madrid, les jugeant par trop barbares. La réaction générale avait été telle qu’il s’en était prudemment tenu là.
Par solidarité dynastique, le gouvernement espagnol, qui, tout au long du XVIII e siècle, avait observé une sage neutralité, s’était joint à la première coalition contre la France. Ses armées n’avaient essuyé que des revers. Après la paix de Bâle en 1795, l’Espagne s’était rapprochée de la France sans plus de succès. Elle avait été partie prenante à la défaite de Trafalgar. Depuis lors, quoique toujours officiellement en guerre avec la Grande-Bretagne, elle n’avait guère bougé et, même si elle avait adhéré au blocus continental, ses autorités n’avaient pas fait grand effort pour l’appliquer.
Toutefois, par le traité de Fontainebleau signé le 27 octobre 1807, l’Espagne s’engageait un peu plus aux côtés de Napoléon. Non seulement elle mettait à sa disposition un corps de troupes de trente mille hommes, mais ensemble les deux pays se partageaient le Portugal avec lequel aucun des deux n’était en guerre. Pour ce faire, un corps d’armée français de vingt-huit mille hommes entrerait en Espagne, appuyé par un corps espagnol d’égale importance et une seconde armée française de quarante mille hommes serait concentrée à Bayonne. En fait, déjà Napoléon méditait le renversement de la monarchie des Bourbons et son remplacement par un membre de sa famille. Lors de son voyage en Italie en novembre 1807, il avait eu une entrevue avec son frère Lucien, officiellement pour se réconcilier avec lui, en fait pour lui offrir le trône d’Espagne. Mais Lucien, qui connaissait bien le pays, ses habitants et leur tempérament, s’était empressé de refuser et l’empereur avait dû se rabattre sur son frère aîné, Joseph.
Ayant attiré dans un véritable guet-apens la famille royale d’Espagne, Napoléon lui avait arraché son abdication en sa faveur. Mais, du jour au lendemain, malgré la présence de troupes françaises sur son sol, l’Espagne entière s’était soulevée. Joseph n’était pas l’homme de la situation. Il ne le serait jamais. Du reste, Napoléon, plein de mépris pour les Espagnols, n’avait envoyé au-delà des Pyrénées que des régiments composés de conscrits qui étaient loin de valoir les solides troupes de la Grande Armée. D’abord, les armées françaises avaient dû faire face à une forme particulière de combat : la guérilla contre laquelle elles n’étaient pas préparées. Celle-ci utilisait le terrain montagneux et les méthodes des bandits et des contrebandiers, s’attaquant aux faibles détachements et aux soldats isolés, pillant les convois et disparaissant devant des unités plus importantes. Et puis l’armée espagnole disposait tout de même de quelques solides régiments. Ils avaient réussi à faire
Weitere Kostenlose Bücher