Le Maréchal Suchet
à un mariage de raison, ce qui allait être le cas puisque les intéressés ne se connaissaient pas et en tout état de cause de ne pas épouser un homme de plus de vingt-cinq ans, son aîné. Sa famille et Gabriel-Catherine, le frère toujours dévoué du général, s’employèrent à la convaincre et ce fut même en cette occasion que Louis-Gabriel usant d’un subterfuge bien innocent allait se rajeunir de deux ans.
Le jeune Suchet dut se montrer bon avocat ; la mère d’Honor, de son côté, fit tout ce qui était en son pouvoir et sa fille finit par se rendre à ses arguments par lesquels elle démontrait que la passion, c’était bien beau, mais que la raison lui était préférable à long terme.
Ce fut alors Suchet qui fit un pas en arrière. On croyait vivre une comédie de Molière. Le général écrivit à son frère pour lui faire part de ses doutes. Les deux familles affichaient à présent un bel optimisme, mais quels étaient les sentiments réels d’Honor ? Suchet se montrait fort explicite : « J’ai assez de fierté, écrivait-il, pour ne pas vouloir de complaisance dans une occasion où j’ai le droit d’attendre tout autre chose. Je serais fort affecté d’apprendre qu’il y a de la prévention dans le cœur de celle que je veux m’attacher… Nous conviendrons-nous ? S’engager sans s’être jamais vus est assurément une bizarrerie. »
Finalement, mis en présence l’un de l’autre, ils se plurent car il était toujours bel homme et s’était laissé pousser de légers favoris qui l’avantageaient. Quelques heures de conversation suffirent à leur faire comprendre que sur bien des points ils partageaient déjà les mêmes idées. Leur milieu grand bourgeois n’y était pas étranger.
Dès lors, l’affaire fut menée tambour battant. Le mariage civil fut célébré le 16 octobre 1808 et la cérémonie religieuse le 17, dans la chapelle du château de Mortefontaine en présence de la reine d’Espagne. Les témoins du marié étaient son frère, son oncle Jacquier, agent de change à Paris, et le général Becker, son chef d’état-major. Ceux de la mariée étaient son oncle et sa fameuse sœur. Le roi Joseph aurait voulu être présent mais il se trouvait en Espagne au côté de Napoléon qui s’employait à lui reconquérir son trône.
Les « jeunes » époux allèrent passer leur lune de miel au château de Saint-Just, près de Vernon, propriété de Suchet. Là, ils apprirent à se connaître et s’apprécier. Honor, dont le père n’était que baron, était enchantée de se retrouver comtesse. Malheureusement, cette période de bonheur fut très brève. Suchet espérait un commandement en Allemagne d’où il pourrait fréquemment revenir à Paris retrouver sa femme. Or il restait toujours attaché au 5 e corps et venait même d’en perdre le commandement au profit du maréchal Mortier, un géant à la cervelle d’oiseau, très brave mais notoirement incapable, mauvais stratège, détestable tacticien qui n’avait dû son bâton de maréchal qu’au seul fait qu’il avait quelques années plus tôt pillé le Hanovre pour remplir les coffres de Bonaparte. Suchet était à la fois furieux et indigné d’avoir à servir sous les ordres d’un aussi piètre individu.
Le 5 e corps entre-temps s’était mis en marche pour l’Espagne. Par suite d’erreurs accumulées par Mortier, il était réduit à vingt-cinq mille hommes. Traversant la France, il gagna Bayonne où il était attendu le 1 er décembre. Mais il prit du retard en route. Ce même 1 er décembre, Suchet quitta son château et sa femme qui alla s’installer auprès de sa tante, à Mortefontaine, car Julie, après avoir entendu le récit des atrocités perpétrées en Espagne, n’avait aucune envie de se rendre dans ce pays. Voyageant en chaise de poste, Suchet gagna Bordeaux en quatre-vingt-deux heures, ce qui, en soi, constituait un record. Il y rencontra son ami Junot qui allait, s’imaginait-il, retourner au Portugal qu’il venait d’évacuer et qui lui proposa de s’y rendre avec lui à la tête d’un corps d’armée. Mais l’opération parut tellement obscure et incertaine à Suchet qu’il remercia poliment, préférant encore rester avec sa division.
La suite de son voyage fut moins agréable. La route entre Bordeaux et Bayonne était dans un état épouvantable en maints endroits, une véritable fondrière en raison de la nature sableuse du sol après le passage de
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