Le Maréchal Suchet
et demandant que ceux-ci soient adressés à Thiébault afin de leur donner comme un vernis de légalité. Hôte un peu forcé du gouverneur, il ne quitta pas celui-ci et en profita pour, dit-il, « prendre une leçon de gouvernement en pays conquis ». Il se fit mettre au courant des mesures déjà prises par Thiébault, les commenta, s’en fit expliquer les raisons. Puis, en compagnie de son camarade, il visita les hôpitaux, les casernements, les prisons, les forts et il fut frappé de l’affection que les habitants portaient à Thiébault qui, au lieu d’appliquer une répression aveugle et féroce, avait systématiquement fait preuve d’humanité. Avec satisfaction, son hôte lui apprit que des ordres venaient d’être donnés par la junte révolutionnaire locale aux guérillas de ne plus harceler tout ce qui voyagerait au nom de ce général français pour le remercier de son attitude.
Au bout des cinq jours, arriva le décret qui nommait Suchet à la tête du 3 e corps à la place de Junot. Pour remercier son hôte de la manière dont il l’avait reçu, Suchet lui offrit de l’emmener avec lui mais Thiébault, qui attendait l’arrivée prochaine de sa femme, se vit contraint de refuser et le regretta amèrement par la suite.
Se voyant ainsi officiellement nommé à la tête du 3 e corps, Suchet adressa un ordre du jour à son ancienne division qui commençait par ces mots : « Soldats, je me sépare de vous avec la plus vive peine... »
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Ce troisième corps d’armée, dont Suchet recevait le commandement, était en assez piteux état. En lui passant les consignes avant de quitter l’Espagne, son ami Junot ne lui farda pas la vérité. Suivant les chiffres officiels communiqués par les services au ministre de la Guerre, les unités comptaient huit régiments d’infanterie, deux de cavalerie, neuf compagnies de génie et huit d’artillerie dont une à cheval, plus huit compagnies du train, en tout vingt mille hommes qu’appuyaient quatre batteries à six pièces chacune. Mais la réalité était moins riante. Le corps d’armée avait beaucoup souffert au siège de Saragosse où il avait à lui seul soutenu le rôle principal dans l’investissement puis l’assaut de la ville.
En réalité, il n’alignait plus que neuf mille soldats et officiers sous les armes. Cette pénurie des effectifs était tellement aiguë que lorsque un peu plus tard Gouvion-Saint-Cyr commandant du 7 e corps en Catalogne traversa une crise et demanda à Suchet de lui « prêter » quelques bataillons, celui-ci se trouva dans l’incapacité de le faire et de mauvaises langues l’accusèrent de jalousie vis-à-vis de son camarade. L’infanterie était affaiblie et plusieurs régiments de formation trop récente se trouvaient peu aptes à faire campagne car ils comptaient trop de conscrits mal instruits dans leurs rangs. Presque tous les artilleurs avaient été envoyés en Allemagne et remplacés par des fantassins qui ne savaient pas manier les canons. Les équipements manquaient ou étaient fort usagés. Le paiement de la solde se trouvait en retard et le trésorier-payeur était en fuite ! Aussi l’état d’esprit des hommes était-il déplorable, d’autant plus qu’à la suite du siège de Saragosse, aucune récompense n’était venue relever leur moral, les promotions et les décorations allant toutes au 5 e corps, ceci par suite de l’impéritie de Junot.
Suchet décida de reprendre son corps d’armée en main, et ce lui fut d’autant plus facile qu’à la suite de la prise de Saragosse une certaine tranquillité régnait, du moins en apparence, dans la province qu’il était chargé de contrôler.
L’Aragon, ancien royaume, longtemps indépendant, d’une superficie un peu supérieure à quarante-cinq mille kilomètres carrés, est situé au nord de l’Espagne. Bordé par les Pyrénées au nord et par la chaîne de Guara au sud, le pays est constitué au nord par une série de plateaux parallèles aux Pyrénées, lesquels descendent jusqu’à la vallée de l’Èbre. Le climat continental passe d’un extrême à l’autre. Aux fortes chaleurs de l’été succèdent des froids glacials en hiver. Quoique moins tourmenté que dans d’autres régions de l’Espagne, le relief n’en est pas moins difficile et assez propice à l’implantation de guérillas. Les villes sont peu nombreuses : Saragosse, Teruel, Huesca, Calatayud et Lérida étaient les plus importantes, ce qui du point
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