Le Maréchal Suchet
avaient pris l’offensive, ils furent arrêtés par une coupure de terrain et contraints de reculer. Cette attaque infructueuse fut immédiatement qualifiée de défaite par les Espagnols qui y virent un prélude à l’évacuation de l’Aragon. Suchet avait compris qu’il se devait de réagir. Heureusement, Blake n’avait pas osé se jeter sur ses talons. Suchet put donc prendre tranquillement ses dispositions et installer solidement sur la défensive son corps d’armée, en avant de Saragosse.
Cependant, Blake attendait quelques renforts de Valence avant de porter ce qu’il croyait être l’estocade finale. Il était, du reste, persuadé que Suchet n’attendrait pas sa venue pour déguerpir. Ce fut son erreur. L’affrontement eut lieu le 15 juin, à Maria. Attaquée avec énergie par Suchet, l’armée espagnole fut mise en déroute. Elle se replia dans le plus grand désordre, abandonnant toute son artillerie. Suchet n’hésita pas un instant et se lança à sa poursuite. Le 18 juin au matin, ce qui restait de l’armée de Blake qui venait de recevoir un renfort de quatre mille hommes prit position sur les hauteurs de Belchite. Cette fois encore, Suchet l’aborda avec résolution. Un coup de canon heureux ayant mis le feu à des caissons d’artillerie que venait de recevoir Blake, l’explosion qui suivit déclencha la panique dans l’armée espagnole. Elle fut entièrement dispersée et Blake ne dut son salut qu’à une fuite rapide, ce qui ne l’empêcha pas de clamer qu’il avait battu les Français. Dès ce moment, après la victoire de Belchite, l’Aragon libéré n’eut plus à redouter que l’action des guérillas.
Ces batailles de Maria et de Belchite n’eurent pas le retentissement qu’elles auraient pu attendre. Napoléon venait de subir un semi-échec à Essling en Autriche et était peu disposé à laisser proclamer des victoires de ses généraux, surtout en Espagne.
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Ces guérillas avaient proliféré dans toute la péninsule Ibérique. Leur efficacité dépendait d’une part de la personnalité et des capacités de leurs chefs et d’autre part de la complicité de la population. Les commandants de guérilleros étaient d’origines diverses, les uns simples paysans illettrés mais doués d’un sens aigu du terrain et du commandement, les autres anciens officiers ou sous-officiers réguliers de l’armée royale ; certains étaient même d’anciens moines. Beaucoup de leurs soldats avaient exercé le métier de contrebandiers. Mais tous étaient habitués à la vie rustique, à une nourriture frugale, à parcourir de longues distances à pied ou à cheval, ne craignant pas les efforts. De surcroît, entraînés au maniement des armes à feu, ils se montraient excellents tireurs. La junte centrale ne reculait pas devant la propagande la plus grossière pour provoquer des désertions parmi les soldats français d’origine étrangère qui constituaient des recrues de choix.
Contre cette forme nouvelle de guerre, la tactique classique des armées napoléoniennes se montra tout de suite inefficace. Répondre aux actions des guérilleros par des procédés brutaux : incendies, fusillades, pendaisons, ne servit qu’à exciter les populations contre les Français, d’autant que ces représailles ne frappaient jamais les véritables coupables.
Suchet, et ce fut un de ses grands mérites, contrairement à ses camarades qui ne ressentaient que du mépris pour ces irréguliers, pensa très vite que, pour lutter contre eux, il fallait inventer de nouvelles formes de tactique. Et, puisque l’armée régulière espagnole avait été dispersée, Suchet fut à même d’occuper le terrain, mettant de petites garnisons dans de nombreuses localités. En même temps, il lançait des colonnes mobiles dans la campagne pour poursuivre les guérillas. Mais c’était une tâche ingrate, car il était souvent difficile de faire la distinction entre un guérillero et un simple paysan. Imitant les méthodes de son ancien chef qu’il estimait beaucoup, Bugeaud, plus tard, pendant la conquête de l’Algérie sous Louis-Philippe, utilisa une tactique identique.
Suchet devait tout de même obtenir quelques succès au prix de faibles pertes, mais il ne parvint pas à purger l’Aragon de ses guérillas, pas plus du reste que les autres chefs de corps. Par leur seule présence, ces bandes allaient considérablement gêner ses opérations car, dès qu’il entra sérieusement en
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