Le Maréchal Suchet
de gouverneur au général Musnier, il se mit en route dans le courant de février, divisant ses forces en deux colonnes. La moins importante, confiée au général Habert, progressait en suivant la côte et l’autre, dont il avait pris lui-même le commandement, partie de Teruel en passant par Segorbe, rejoignit la première peu avant Valence, à Murviedro. Cette ville, située sur la rive sud de la rivière Guadalaviar, n’offrait pas de protections naturelles particulièrement difficiles, mais elle était défendue par une population bien décidée à résister et une garnison nombreuse. Ses fortifications devaient être battues par une artillerie puissante dont Suchet ne disposait pas. De plus, tenant la campagne, une armée d’environ dix à douze mille hommes était prête à soulager et secourir les éventuels assiégés. Suchet, sans encombre, refoula devant lui les Espagnols et parvint jusqu’au faubourg de Serano qu’il occupa. Il découvrit alors les murs d’enceinte de Valence qui étaient armés d’une nombreuse artillerie, laquelle se démasqua à l’approche des Français.
Le 3 e corps qui n’avait pas plus les moyens d’investir la place que de tenter un coup de main contre elle demeura cinq jours devant la ville. Suchet se contenta d’envoyer une lettre au général espagnol Caro, gouverneur de Valence, le sommant de se rendre. Non sans insolence, celui-ci répondit par un refus, allant jusqu’à avancer que l’armée de Joseph avait été taillée en pièces en Andalousie. Après quoi, pour augmenter la résolution des défenseurs, il fit dresser des potences sur la place de la ville et fit arrêter l’archevêque qui passait pour favorable aux Français.
Au bout de cinq jours, comprenant qu’il pourrait demeurer longtemps sur place sans succès, Suchet entama sa retraite en direction de Teruel. Peut-être, s’il avait fait preuve d’un peu plus de mordant, serait-il parvenu à s’emparer de Valence mais, étant donné la faiblesse des forces dont il disposait, la chose paraît douteuse. Le 10 mars, l’armée d’Aragon prit la route du retour et au passage dégagea la ville de Teruel, en partie occupée par la guérilla de Villacampa. Le 17 mars, Suchet rentra à Saragosse. En son absence, les guérillas, ainsi qu’il l’avait craint, avaient montré une grande activité. Le retour du gros du 3 e corps permit de mener contre elles une action bénéfique et Mina, un de leurs chefs les plus entreprenants, fut fait prisonnier. Envoyé en France, il demeura en captivité à Vincennes jusqu’en 1814.
Cependant, Napoléon, lorsqu’il fut mis au courant de ce qu’il nomma l’échec de Suchet devant Valence, entra dans une violente colère. Sans vouloir tenir compte du contexte dans lequel avait été montée l’opération ni de la responsabilité de Soult et de Joseph à qui Suchet n’avait fait qu’obéir, il fit preuve, comme souvent dès cette époque, d’une totale mauvaise foi et écrivit à Berthier, le 20 avril : « Le général Suchet a été malgré mes ordres à Valence. Il en est revenu très légèrement ; il a compromis mes troupes. Cette conduite n’a nullement répondu à mon attente. Il est indispensable que le général Suchet répare ses sottises. »
Suchet, modérément sermonné par Berthier avec qui il était réconcilié, avait compris dans quelle position fausse et inconfortable il s’était trouvé, et il eut le bon goût dans ses mémoires de passer ce pénible épisode sous silence.
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À mi-chemin entre Barcelone et Saragosse, formant la frontière entre Aragon et Catalogne, la ville de Lérida se dressait sur les bords de la rivière Sègre large de cent mètres en cet endroit et dotée d’un assez fort courant. Depuis la plus haute antiquité, la ville de Lérida (appelée alors Ilerda ) apparaît régulièrement dans les chroniques militaires. La troisième décade de Tite-Live y fait mention et César la cite dans De Bello civile. Par la suite, Chrétiens et Maures se la disputèrent. Au XVII e siècle, elle fut plusieurs fois assiégée sans succès, même par le Grand Condé qui, pour se conformer à une coutume locale, avait ouvert la tranchée au son des violons. Toutefois, en 1707, le duc d’Orléans était parvenu à s’en rendre maître et avait laissé ses troupes s’y livrer à un pillage en règle.
Cet épisode désagréable avait été oublié et, au printemps 1810, le moral de la population et de la garnison
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