Le Maréchal Suchet
silence et même dans des bastions de la ville des caissons à munitions explosèrent. Des brèches furent pratiquées dans la muraille. La question demeurait de savoir si le gouverneur, une fois la ville forcée, essaierait de poursuivre la résistance dans le château.
Le bombardement ininterrompu continua jusqu’au 13 mai et eut un effet psychologique certain sur la population civile qui fit pression sur le gouverneur, l’incitant à capituler. Suchet était décidé à en finir. Il donna les ordres pour que les troupes montent à l’assaut. Celui-ci fut lancé le 13, à 7 heures du soir. Les assiégés résistèrent une partie de la nuit puis, devant l’importance de leurs pertes, se replièrent sur le château. Là, alors que le gouverneur et les militaires qui l’entouraient se préparaient à soutenir un second siège, la population qui était entrée dans la place avec les soldats exerça une pression déterminante sur le général Condé d’autant que l’artillerie française ayant changé d’objectifs arrosait le château de boulets et de bombes. Ainsi, l’action psychologique imaginée par Suchet portait-elle enfin ses fruits.
Le 14 mai, à midi, un drapeau blanc fut hissé sur le donjon. Aussitôt après, un parlementaire vint demander les conditions de la capitulation. Suchet envoya son fidèle Saint-Cyr Nugues et le général Valée. Il accordait à la garnison les honneurs de la guerre mais celle-ci restait prisonnière. Une des plus grandes joies de Suchet fut de pouvoir ainsi délivrer trente-trois officiers français de l’armée de Catalogne qui étaient retenus prisonniers dans le château dans des conditions plutôt pénibles.
Le butin fut énorme : cent trente-trois canons en état de servir, dix millions de cartouches, cinquante tonnes de poudre, dix mille fusils neufs, dix drapeaux et des magasins débordant de vivres, ce qui prouva, si cela était nécessaire, que l’Espagne était capable de fournir du ravitaillement mais que les habitants préféraient le réserver à leurs compatriotes. Dans son style fleuri, mais de mise à l’époque, Suchet écrivit le jour même à Napoléon : « Les Aigles triomphants de Votre Majesté planent sur la ville et les redoutables châteaux de Lérida… » Après quoi, en chef s’intéressant à la carrière de ses subordonnés, il demanda de l’avancement pour un certain nombre d’entre eux.
La prise de Lérida donnait un avantage certain aux Français et allait gêner à la fois les guérillas et l’armée de la junte à qui la ville avait servi de point d’appui. Pour la parachever, dans la foulée, Suchet décida de s’emparer de la petite ville de Mequinenza au confluent du Sègre et de l’Èbre et surtout du fort qui la surplombait. C’était d’ailleurs se conformer aux ordres reçus de Paris. Mais Suchet qui voulait donner à ses divisionnaires des occasions de se distinguer ne dirigea pas lui-même les opérations et en chargea le général Musnier. Celui-ci, à la tête de deux brigades, commença le siège le 20 mai. Il se poursuivit jusqu’au 7 juin, où Suchet vint en personne voir où en était l’affaire. Mais il arriva presque après la bataille car la place capitula dès le lendemain. Là encore, les prises de guerre furent d’importance. Par cette conquête, Suchet avait assuré la mainmise sur tous les points fortifiés de l’Aragon. Il en profita pour s’emparer de Morella dans le royaume de Valence dont les Espagnols avaient négligé d’assurer la défense.
Pendant que Musnier assiégeait Mequinenza, Suchet s’était occupé de mettre de l’ordre dans Lérida.
Il commença par faire effacer les effets du siège, ordonnant de combler les tranchées et relever les murailles ; puis il se pencha sur le sort de la population civile, rassura les habitants, fit réparer les maisons endommagées par le bombardement. Une junte avait fait régner la terreur dans la ville. Ses membres se trouvaient fort inquiets quant à leur sort. En toute justice, Suchet aurait pu faire preuve vis-à-vis d’eux de la plus extrême sévérité. Mais par l’acte de capitulation il s’était engagé à ce qu’aucune poursuite ne soit entreprise contre eux. Malgré les souhaits d’une population qui avait brusquement changé d’opinion, il ne modifia pas son comportement. Cette clémence porta ses fruits.
Il mit en place une nouvelle junte, composée de notables modérés (il en existait) et choisit un nouveau
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