Le Maréchal Suchet
toujours différé la mise en œuvre.
Le couronnement, en quelque sorte, de son travail, dû au fait qu’il avait restauré une manière de paix en Aragon, lui vint sous la forme d’une récompense aussi insolite qu’imprévue.
L’Académie royale de Saint-Louis à Saragosse, qui passait pour un repaire de partisans de Ferdinand, tint à lui donner « un témoignage d’estime et de confiance » en le nommant directeur. Cette distinction purement honorifique – car Suchet n’eut ni le temps ni l’occasion d’exercer de telles fonctions – le flatta énormément et lui fit comprendre que la méthode de pacification qu’il avait adoptée était probablement la bonne. Malheureusement, elle ne serait suivie par aucun de ses camarades, et si le roi Joseph, qui s’intéressait à tout ce qu’entreprenait son « neveu », en reconnut l’efficacité, il n’eut pas la possibilité de la mettre en œuvre.
Ainsi s’écoula l’année 1809. Victorieuse de l’Autriche, la France paraissait plus puissante que jamais. En Espagne, la situation semblait s’améliorer de mois en mois. Les Anglais, après avoir lancé une offensive contre Madrid, avaient prudemment battu en retraite et étaient rentrés au Portugal. Les armées françaises contrôlaient le nord et le centre du pays. Le roi Joseph préparait une expédition qui allait le conduire à la conquête de l’Andalousie.
À Saragosse, où pourtant la situation était calme et où la lutte contre les guérillas tournait à des opérations de police, Suchet avait réussi à force de persévérance dans ses demandes à renforcer son corps d’armée. Il comptait à présent dix-huit mille hommes et à ses quatre batteries d’artillerie il ne manquait pas une pièce. Ses vingt-cinq bataillons d’infanterie et huit escadrons de cavalerie étaient parfaitement équipés et prêts à entrer en campagne. La lettre de félicitations que lui adressa Napoléon, au mois de décembre 1809, était donc tout à fait justifiée. Euphorique, l’empereur lui laissa entrevoir qu’il aurait bientôt sous ses ordres trente mille hommes, promesse qui n’était pas prête à se réaliser.
Seule ombre au tableau, le major général de l’armée d’Espagne, le maréchal Jourdan, fatigué, avait été remplacé le 24 septembre par le maréchal Soult avec qui Suchet était toujours en aussi mauvais termes.
VII
UNE GUERRE STATIQUE
(1810-1811)
L’année 1810 commença plutôt bien pour les Français en Espagne. Déjà, par le traité de Vienne (14 octobre 1809), l’empereur François d’Autriche, le vaincu de Wagram, avait reconnu Joseph comme légitime souverain. Puis l’armée rebelle dite « du centre » avait été écrasée et dispersée le 19 novembre par Soult à Ocana, laissant aux mains des Français des milliers de prisonniers et de nombreux morts sur le terrain.
Depuis lors, Joseph, plein d’optimisme mais voyant assez juste, se préparait à envahir l’Andalousie. Pourtant, la situation du haut commandement français s’était, comme à plaisir, compliquée. Napoléon n’ayant plus besoin de lui à la tête de l’état-major général de la grande armée avait, dès son retour à Paris, en novembre 1809, nommé à nouveau Berthier major général pour les armées françaises en Espagne. En même temps, une autre disposition plus ancienne mais toujours en vigueur donnait le commandement en chef au roi Joseph. Celui-ci était tout à fait incapable de s’en acquitter. Ce serait donc son propre major général, le maréchal Soult, qui l’exercerait.
Cette dualité de commandement n’allait pas faciliter les opérations car souvent les ordres seraient contradictoires, encore que Berthier plein de tact et assez éloigné du terrain aurait tendance à suggérer plutôt que d’ordonner. Il n’empêchait que, comme il existait plusieurs instructions secrètes envoyées par Paris aux chefs de corps et qui leur prescrivaient de n’obéir et de ne rendre compte qu’à Berthier, dans un certain nombre de cas précis, les généraux ne savaient plus à qui ils devaient obéir.
L’idée de la conquête de l’Andalousie fit l’objet de nombreuses réticences de la part de Berthier aussi bien que de Soult. Certes, des divisions rendues disponibles étaient dirigées en renfort vers l’Espagne. Certes, Joseph avec raison fit remarquer qu’aucune place forte ne viendrait ralentir ou arrêter la marche de l’armée et que la junte n’avait
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