Le Maréchal Suchet
n’avaient guère envie car ils savaient que leurs biens avaient été saisis et qu’ils risquaient la potence. Ils attendirent patiemment que Joseph reconquière sa capitale.
Ce fut à la fin de juillet qu’éclata le différend entre Joseph et le maréchal Soult qui était toujours en Andalousie. Il savait qu’il allait devoir évacuer la province, ne pouvant s’y maintenir après la chute de Madrid. Il écrivit alors une lettre à Napoléon qui se trouvait en Russie pour dénoncer les agissements de Joseph. Il critiquait ses ordres, considérait comme inutile et prématurée l’évacuation de Madrid, l’accusait de trahison, s’étant mis en rapport avec la junte de Cadix (Joseph n’avait agi que sur la suggestion de son frère mais Soult l’ignorait). Soult allait jusqu’à écrire que le souverain entretenait des rapports avec Bernadotte, alors allié au tsar, et Moreau, exilé en Amérique, qui, selon certaines rumeurs, se préparait à venir en Espagne combattre comme maréchal.
Le capitaine du navire à qui cette lettre avait été confiée fut contraint de relâcher à Valence. La lettre et toute la correspondance qui y était jointe furent-elles saisies par la police ? Le capitaine l’apporta-t-il lui-même à Suchet en tant que gouverneur ? L’affaire n’est pas claire. Mais toujours est-il qu’elle fut remise au maréchal. Celui-ci l’ayant lue, et ayant compris la gravité des accusations, la porta à Jourdan major général qui à son tour la livra au roi. Celui-ci entra dans une violente colère et pensa même faire arrêter Soult. Suchet, Jourdan et La Forest, ambassadeur de France en Espagne, eurent beaucoup de mal à l’en dissuader, sans compter que la chose eût été difficile, Soult se trouvant au milieu de ses troupes. Mais Joseph envoya un de ses aides de camp, le colonel Després, porter la lettre avec ses propres commentaires à Napoléon. Il réclamait de façon impérative le rappel en France du duc de Dalmatie. Lorsqu’il reçut le tout, l’empereur se trouvait à Moscou et avait bien d’autres soucis en tête. Il avait, du reste, déjà reçu par une autre voie la missive de Soult et, minimisant l’affaire, refusa d’y donner suite. Mais elle allait empoisonner les rapports de Soult et de Joseph.
Obéissant aux ordres du roi, Soult avec son armée intacte prit la route de Valence au mois de septembre. Joseph qui n’avait plus entretenu de rapports avec lui depuis l’interception de la fameuse lettre le convoqua pour un conseil qui se tint le 3 octobre à Fuente de Higuera. Y assistaient, outre Joseph et Soult, Jourdan et Suchet. L’atmosphère était glaciale. Voulant mettre Suchet de son côté, Soult lui fit de grandes démonstrations d’amitié, allant jusqu’à essayer de le serrer dans ses bras. Mais Suchet, toujours en mauvais termes avec lui, le repoussa et qualifia cette attitude de « fourberie ». S’ensuivit un échange de propos aigres-doux. Jourdan, pour sa part, se tint dans une prudente réserve. Quant à Joseph, n’ayant reçu aucune nouvelle de la demande de rappel formulée à son frère, il cachait mal sa mauvaise humeur.
Il fut tout de suite question de la manière dont on allait procéder pour reprendre Madrid et essayer de battre Wellington. Dans ce but, les trois armées du centre, du midi (ex-Andalousie) et du Portugal se trouvèrent réunies sous les ordres de Soult. Ce dernier, précédant de peu Joseph, quitta Valence le 16 octobre. Pour suivre un conseil de Suchet qui jugeait l’action indispensable sur un plan psychologique, ils commencèrent par réoccuper Madrid avant de marcher contre Wellington. Manœuvrant fort habilement, Soult le força à décamper jusqu’au Portugal, lui faisant perdre de la sorte tout le fruit de sa campagne d’été, ce qui constitua en quelque sorte une revanche des Arapiles.
Par ailleurs, il fut décidé de conserver Valence et cette tâche fut confiée à l’armée d’Aragon, c’est-à-dire à Suchet. Avec désinvolture, Joseph lui avait repris l’armée du centre après la lui avoir donnée. Du coup, les forces de Suchet se trouvaient de nouveau réduites à douze mille hommes alors que ses adversaires en alignaient à présent près de quarante mille. Dans une telle conjoncture, l’idée même de monter une offensive devenait chimérique. Suchet avait compris qu’il n’avait plus à attendre aucun renfort de France, bien heureux si l’empereur n’effectuait pas des
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