Le Maréchal Suchet
biens des anciens rois d’Espagne et du clergé régulier soient distribués à l’armée, depuis les généraux jusqu’aux simples soldats. Ils ne devaient jamais en voir la couleur.
Pour sa part, Suchet fut nommé en date du 24 janvier 1812 duc et se vit attribuer comme « fief » le lac d’Albufera sur les bords duquel son armée s’était illustrée, le 26 décembre 1811. A priori, l’idée d’ériger un lac, si grande que pût être sa surface, en duché pouvait paraître étrange. Mais, en réalité, Napoléon faisait à Suchet un fort beau cadeau, d’une surface d’environ trente km 2 .
L’Albufera est un lac d’eau douce relié à la Méditerranée par un canal. À l’époque où Suchet en prit possession, il était fort poissonneux et ses rives très giboyeuses. Le rapport des nombreuses pêcheries et de la location des chasses représentait un coquet revenu. De plus, des terres s’étendant sur quatre mille hectares sur lesquelles s’élevaient six petites localités complétaient la donation. L’ensemble des fermages, métayages et autres loyers allait mettre Suchet plus qu’à son aise. Il n’allait, hélas ! les percevoir que pendant un peu plus d’un an.
Il y eut une personne au moins à qui la création du duché d’Albufera déplut et qui ne se fit pas faute de le dire. C’était le roi Joseph, l’« oncle » de Suchet. En tant que souverain espagnol, il n’admettait pas qu’un autre que lui, fût-il son propre frère, disposât, sans même le consulter, d’une partie de son royaume, allant jusqu’à oublier que c’était à la présence des armées françaises qu’il devait de régner. En outre, lui qui était toujours à court d’argent avait escompté toucher le revenu des pêcheries qui s’élevait à plusieurs centaines de milliers de francs. Ce fut le début d’un refroidissement dans les relations des deux hommes qui jusqu’alors avaient été excellentes. Les choses ne devaient pas en rester là.
**
Napoléon aurait souhaité que, sur sa lancée, Suchet achevât la conquête du royaume de Valence en s’emparant d’Alicante et de Carthagène et en opérant sa jonction avec l’armée d’Andalousie commandée par Soult. Prudent et méthodique, avant d’aller plus avant, Suchet estima qu’il serait bon de s’emparer de la petite place de Peniscola située entre Sagonte et Tortose. Puis, comme il allait voir les territoires sous son contrôle encore s’agrandir, il demanda de nouveaux renforts.
Au lieu de les lui accorder, Napoléon commença par lui retirer tout son corps polonais, soit un peu plus de cinq mille combattants, destiné à l’armée qui allait envahir la Russie. Ce fut ensuite le corps de Reille qui lui fut soustrait car il devait remonter mettre de l’ordre en Navarre. En lieu et place, l’empereur nomma Suchet gouverneur du royaume de Valence, ce qui accrut encore ses charges administratives. Du même coup, il échappait en principe à la tutelle du roi d’Espagne et dépendait directement de l’Empire, ce qui ne fit qu’augmenter la mauvaise humeur de Joseph vis-à-vis de son « neveu » qui n’en pouvait mais. Déçu, malade (toujours de sa fistule), se voyant dans l’impossibilité d’accomplir sa nouvelle mission, le maréchal demanda avec insistance son retour en France pour se faire opérer car les chirurgiens espagnols ne valaient rien. Non seulement Napoléon refusa, car la présence du maréchal en Espagne lui semblait indispensable, mais il lui envoya pour le soigner – ce qu’il osa qualifier de « marque éclatante de bonté » – son premier chirurgien, Boyer, accompagné de son gendre, le docteur Roux. À eux deux, ils parvinrent à remettre le maréchal sur pied. Il en coûta à lui et à Napoléon quatre vingt mille francs (quarante mille pour chacun) : « Voilà de la chirurgie lucrative », ironisa-t-il. Entre opération et convalescence, Suchet resta alité près de cinq semaines. Heureusement, la situation sur le plan militaire demeura à peu près calme durant cette période et du fond de sa chambre le maréchal continua à diriger les opérations. Il eut le temps de beaucoup réfléchir et estima qu’avec des forces réduites l’expédition contre Alicante devenait impossible, d’autant qu’il dut encore se priver d’une nouvelle division, la division italienne.
En effet, à l’autre extrémité de la péninsule, l’armée anglaise était passée à l’offensive et, le 20 janvier
Weitere Kostenlose Bücher