Le Maréchal Suchet
d’Aragon, mettant un terme à toute velléité des Espagnols à attaquer, c’était parce que Wellington vainqueur avait marché sur Madrid où il devait entrer le 12 août. Prudemment, Joseph avait évacué sa capitale et s’était précisément replié sur Valence avec toute sa cour, Français et Espagnols ralliés, et son armée. L’ensemble avait formé un énorme convoi de près de deux mille voitures qui avait traversé la moitié de l’Espagne dans des conditions épouvantables, par une chaleur torride, sans eau ou presque, et avec des guérillas qui tournaient autour guettant les traînards, mais sans oser vraiment se montrer agressives.
On ne peut pas vraiment écrire que l’arrivée du roi suivi de cette cohue, même s’il amenait le renfort de l’armée du centre, ait été accueillie avec enthousiasme par Suchet. Depuis la conquête de Valence, on sait qu’il était en froid avec son « oncle ». Celui-ci était allé jusqu’à dire en public : « Ce n’est plus le même homme depuis qu’il est couvert de gloire et d’honneurs ! »
Naturellement, ce propos avait été rapporté au maréchal qui avait modérément apprécié. Depuis plusieurs mois, Joseph n’avait cessé de réclamer des renforts à Suchet qui les lui avait refusés. Où les eût-il pris ? Lorsque le roi avait voulu mettre en place dans la province nouvellement conquise des fonctionnaires espagnols nommés par lui et prendre en main son administration, il avait essuyé une fin de non-recevoir ferme et polie, le maréchal allant jusqu’à refuser de rencontrer son envoyé, arguant que pour le civil comme pour le militaire la fonction ne dépendait que des instructions venues de Paris. Il avait fait dire à celui-ci, le duc de Santa Fé, non sans une certaine ironie qu’il espérait bien dans un jour prochain avoir l’occasion de faire sa connaissance.
Enfin, Joseph reprochait à Suchet de n’en faire qu’à sa tête sans lui en référer à propos des bénéfices ecclésiastiques.
L’ensemble de ces griefs formait un contentieux assez volumineux. Mais, dans la circonstance, Joseph décida de mettre beaucoup d’eau dans son vin. Lorsqu’il le voulait, il pouvait se montrer souriant, aimable et d’une grande civilité. Les rapports entre les deux hommes, sans être franchement cordiaux, demeurèrent donc corrects. Du reste, le roi se déclara étonné et agréablement surpris lorsqu’il constata l’ordre et le calme qui régnaient à Valence. Alors qu’à Madrid il ne pouvait sortir de son palais qu’avec une forte escorte sur ses talons et que la population lui demeurait hostile, les Valenciens se montrèrent polis et il pouvait se promener dans les rues comme un simple particulier.
La venue de tout ce monde avait posé de sérieux problèmes à Suchet. Il avait fallu les loger et les nourrir. Pour l’armée du centre, ce fut assez facile. Elle cantonna à la périphérie de Valence et Suchet puisant dans ses réserves lui fournit les rations et le fourrage dont elle avait besoin. Du reste, Joseph se dépêcha de la placer sous le commandement du maréchal qui se reprit à faire des projets pour marcher sur Alicante.
Quant à la garde royale, composée en grande partie d’Espagnols, elle avait fondu par suite de nombreuses désertions pendant le trajet, passant de cinq mille à moins de deux mille hommes ; et plusieurs officiers, supportant mal la morgue de l’entourage du roi, avaient démissionné aussitôt arrivés, parfois d’une manière assez pittoresque.
Mais tout le train de civils français et espagnols ralliés se montrait plus exigeant. Ces gens habitués à une vie d’une certaine aisance supportèrent mal de se voir logés un peu n’importe où, parfois dans des villages hors de la cité, et de se voir offrir des rations militaires. Aussi encombrèrent-ils les services du maréchal et les submergèrent-ils de leurs récriminations, ce qui amena Suchet avec l’accord du roi à prendre des mesures radicales. Au début de septembre, ils décidèrent de renvoyer en France tous les membres de la cour dont la présence n’était pas nécessaire. Cela représentait près de deux mille personnes. Un important convoi de trois cent soixante-sept voitures assez faiblement escorté partit de Valence et parvint sans encombre à la frontière. Quant aux Espagnols partisans de Joseph, ils furent consignés dans divers villages avec interdiction momentanée de retourner à Madrid, ce dont ils
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