Le Maréchal Suchet
avait été nommé grand aumônier du roi Joseph et ne devait se manifester que pour réclamer à Suchet le paiement de ses revenus venus à échéance : son influence était nulle.
Ce fut avec l’évêque de Huesca que, dès le départ, Suchet entretint les relations les plus cordiales. Lorsque Joseph, pour le récompenser, le nomma archevêque de Séville, Suchet qui lui avait confié la direction du clergé d’Aragon le retint presque de force tant il avait besoin de lui. Ce fut ce prélat ou quelqu’un de son entourage proche qui lui signala les prêtres anti-français, fauteurs de troubles. Suchet les fit incarcérer dans la forteresse de Jaca et les y retint avec des égards mais sans espoir de libération. Le plus important d’entre eux était un chanoine de Saragosse, prédicateur réputé nommé Otella. Le gouverneur hésitait à faire arrêter un ecclésiastique aussi considérable mais la saisie de ses papiers permit de constater qu’il préparait des sermons véritables appels au meurtre et à l’insurrection et que, de plus, il avait donné asile au chef de bande, le célèbre Mina. Son interpellation ramena le calme dans le chapitre de Saragosse.
L’évêque de Jaca trouva plus sage de se cantonner dans une véritable neutralité bienveillante. Quant à celui de Tarazone, pendant longtemps il n’arriva pas à prendre parti. Il laissa entendre à Suchet qu’il se rallierait à Joseph s’il était nommé archevêque de Saragosse. Mais le général répugnait à ce genre de marchandage et l’évêque qui voyait les résultats obtenus par Suchet finit lui aussi par faire preuve d’une neutralité raisonnable.
Suchet lui-même, sans vouloir se voir accuser de bigoterie, faisait preuve d’une piété de bon aloi et sut avoir des gestes vis-à-vis du clergé. Peu après qu’il eut pris son commandement, le chapitre de Saragosse lui offrit un anneau appartenant à la Vierge del Pilar. Après quelque hésitation, Suchet accepta le cadeau d’une nature peu commune. Le lendemain, le général se rendit pour entendre la messe au sanctuaire de la Vierge et là, dans un geste un peu théâtral, il remit l’anneau au chapitre en le priant de le passer immédiatement au doigt de la Madone. Cette conduite aussitôt connue de toute la ville lui attira la sympathie de l’ensemble de la population. Il ne manqua pas de le rapporter en détail dans une lettre à Berthier afin de faire savoir à qui de droit de quelle manière il entendait se comporter dans son gouvernement.
Ayant ainsi remis de l’ordre dans les finances, son clergé bien en main (et son comportement vis-à-vis du trésor de la cathédrale de Saragosse y était pour quelque chose), Suchet s’attaqua à deux nouveaux secteurs : la justice et la police.
Du temps des Bourbons, la justice avait vu son action freinée par un conflit d’autorité entre les tribunaux civils, ceux de l’évêque, ceux de l’Inquisition et ceux de l’intendant. Sans vouloir bousculer le système, Suchet décida de le simplifier pour le rendre efficace. La première instance fut dévolue aux alcades majors qui furent nommés désormais au nom de l’empereur et l’audience royale eut lieu en cour d’appel.
Quant à la police, à l’arrivée de Suchet elle semblait complètement désorganisée. Il eut la chance de mettre la main sur un Espagnol qui avait été un policier remarquable. Ancien intendant, il avait d‘abord servi Palafox puis s’était après coup rallié aux Français. Suchet décida de lui faire confiance. Il le promut commissaire général de police et président d’un tribunal chargé de juger les délits mineurs et ceux relatifs à l’insurrection. Ce fonctionnaire nommé Dominguez commença par recruter des agents avec soin et veilla en accord avec le gouverneur à ce qu’ils soient correctement et régulièrement rétribués. Son administration renforcée par toute une série d’indicateurs fonctionna à merveille et il réussit à démasquer des espions, éventer des complots et trouver des caches d’armes là où la police militaire française avait échoué. Mais, surtout, il ramena la tranquillité dans la ville de Saragosse. Ses habitants purent y circuler en toute impunité même la nuit ; et alors que, sous les Bourbons, il se commettait en moyenne un assassinat par jour, en décembre 1810, il fallut bien constater qu’il n’y en avait pas eu un seul de toute l’année.
Du reste, il remit en pratique une
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