Le Maréchal Suchet
vieille tradition : les malandrins qui n’étaient pas condamnés à mort furent exposés au pilori pendant une durée plus ou moins longue, ce qui permettait par la suite, s’ils récidivaient, de les identifier plus aisément. L’ensemble des administrations, y compris les personnels des hôpitaux civils, recruta ses employés suivant le système de l’amalgame. Joseph, par bonté ou par faiblesse, entendait ne prendre à son service que des Espagnols et Napoléon le lui reprocha. Suchet, lui, toléra d’abord quelques Espagnols puis, peu à peu, en vint à en employer davantage. Il arriva ainsi à peu près à la parité. Toutefois, les intendants ainsi que les receveurs et payeurs, tant pour chaque province que pour chaque division, chargés avant tout de solder les dépenses publiques et d’acquitter les salaires des fonctionnaires, furent systématiquement français. Il fallait une bonne dose de courage à ceux-ci pour accepter des postes où le risque de se voir enlevés et pendus était grand et pour lesquels les salaires proposés ne paraissaient pas particulièrement attractifs. Un tel système ne concédait, à de rares exceptions près, que des emplois subalternes sans grandes responsabilités aux Espagnols. On leur laissa espérer que dans l’avenir peut-être accéderaient-ils à des postes plus élevés. Ce fut rarement le cas.
Évidemment, la personne à qui Suchet délégua la direction de l’ensemble était également un Français, Lacué, maître des requêtes au Conseil d’État, qui reçut le titre d’intendant général. Il était compétent et efficace. Au début, il entretint d’excellents rapports avec Suchet. Mais, peu à peu, profitant de l’étendue de ses pouvoirs, il fit preuve d’indépendance, adressant directement des rapports au ministre de la Guerre sans les soumettre auparavant au maréchal qui demeurait son supérieur hiérarchique. Il passa alors une partie de son temps à dénoncer à Clarke les irrégularités de l’administration (et il y en avait) mais Suchet n’en était nullement responsable. Lacué, profitant de ce qu’il était le neveu d’un ministre de Napoléon, se croyait intouchable et, de son côté, trafiquait un peu sur les frais de bureaux et les biens nationaux. Excédé par les procédés de l’individu, Suchet demanda et obtint son rappel ainsi que son remplacement par Bondurand, son ordonnateur en chef, en 1812.
Cet ensemble, qui avait si bien donné satisfaction en Aragon, Suchet l’étendit à la Catalogne puis au royaume de Valence lorsqu’il en fut nommé gouverneur.
La Catalogne posa une série de problèmes très spéciaux. Ses habitants d’esprit très particulariste et indépendant se considéraient comme très supérieurs aux autres Espagnols mais surtout voulaient déjà être gouvernés par un régime qui leur serait propre. La question fut compliquée du fait que l’administration impériale, tout en affirmant l’autorité de Suchet, estima que Lérida, Tortose et Tarragone devaient dépendre directement du général Decaen, gouverneur de Barcelone. La situation fut bientôt tellement embrouillée que personne ne s’y reconnut plus : le général Henriot gouverneur de Lérida prétendait dépendre de son camarade Decaen, mais s’il le jugeait de son intérêt, il appelait à son secours le maréchal ! De Paris, un ministre, le comte Mollien, demandait à Clarke en charge de la Guerre qui était le véritable gouverneur de Lérida ! Ce chaos dura jusqu’en 1813 et ne reçut jamais de solution.
Dans le cas de Valence, le maréchal trouva un pays riche aux industries nombreuses et prospères et à l’agriculture florissante en raison de la fertilité des sols. Le déroulement des hostilités avait quelque peu altéré ce tableau idyllique, mais la méthode de Suchet permit de rétablir assez rapidement l’ensemble de l’économie et les sommes produites par les divers impôts furent nettement supérieures à celles que rapportaient les deux autres provinces. En dix-huit mois, sans compter la colossale amende de deux cents millions de réaux infligée par Napoléon pour réparer le massacre de cent quatre-vingts Français en 1808, les impôts rapportèrent trente-sept millions de francs couvrant largement les dépenses de l’armée et de l’administration provinciale.
Bien sûr, la junte centrale révolutionnaire fit tout ce qui était en son pouvoir pour contrecarrer les efforts du maréchal, car elle avait
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