Le Maréchal Suchet
général. Celui-ci faisait connaître le mécontentement très vif de l’empereur. De quoi se mêlait Suchet ? Napoléon n’admettait pas qu’il retînt Ferdinand ou un membre de sa famille sous un prétexte aussi futile. Que lui importait le sort des milliers d’hommes qui tenaient les trois forteresses ? C’était le moindre de ses soucis. À un moment où il se battait pour conserver son trône bien chancelant, Napoléon, qui continuait à imaginer que le retour de Ferdinand en Espagne mettrait fin aux hostilités dans le Midi et lui libérerait deux armées, n’approuvait pas la conduite et les scrupules de Suchet.
Celui-ci laissa donc Don Carlos repartir avec son frère et dut se contenter d’un engagement écrit de la part de Ferdinand. Du reste, ce dernier semblait dans les meilleures dispositions d’esprit. Il déclara à plusieurs reprises qu’il avait été enchanté de l’accueil que lui avait personnellement réservé le duc d’Albufera et que son administration des provinces espagnoles avait été menée avec tant de justesse, de fermeté et de discipline que, pour le récompenser, il lui conserverait sa dotation du duché d’Albufera. Mais Suchet ne se berçait pas d’illusions à ce sujet, car Ferdinand allait se dépêcher d’oublier ses paroles.
En attendant, le 25 mars, sur les bords de la rivière Fulvia, les deux armées française et espagnole rendirent les honneurs à Ferdinand, encadrées par une foule en délire. En prenant congé de Suchet, Ferdinand eut le mauvais goût de lui dire : « Monsieur le maréchal, cette journée vaut une grande victoire ! » Le duc d’Albufera en était moins certain.
Le général Copons y Navia, commandant l’armée espagnole, accueillit son souverain, tête nue, fit un petit discours, puis lui remit respectueusement un exemplaire de la constitution. Sans même y jeter un coup d’œil, le roi le fourra dans sa poche et sans avoir dit un seul mot monta en voiture. S’ils avaient fait preuve de prémonition, tous les Espagnols qui assistèrent à la scène auraient pu deviner à ce seul geste du roi qu’il ne resterait bientôt rien de ce début de libéralisme et qu’à des potences seraient accrochés tous ceux qui l’avaient élaboré ou qui y avaient seulement un peu trop cru.
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Contrairement aux espoirs de Napoléon, le retour de Ferdinand n’avait nullement arrêté les hostilités. Soult se rabattait à présent sur Toulouse plutôt que sur Bordeaux, ne voulant pas être coupé de l’armée de Catalogne dont il espérait recevoir quelques renforts. Où Suchet eût-il bien pu les prendre ? Il se consacrait à présent à approvisionner en toute hâte à cent quatre-vingts jours les sept places fortes françaises de la frontière et Perpignan à deux cent quarante. Puis il évacua Figueras et replia toutes ses troupes vers la frontière sur laquelle il s’établit. La nature très montagneuse du terrain en facilitait la défense et Suchet entendait ne pas laisser envahir les départements frontaliers. Au demeurant, le général Copons ne faisait pas preuve d’un grand désir de poursuivre les hostilités.
Les événements qui se déroulaient à Paris et aux environs n’étaient connus dans le Midi qu’avec un certain retard. Dans les premiers jours d’avril, Soult qui campait devant Toulouse décida de livrer bataille plutôt que d’abandonner la ville. Il ignorait que Napoléon avait abdiqué depuis 4 jours. Il demanda donc à Suchet, non pas de venir le renforcer contrairement à ce qui s’est raconté par la suite, mais d’envoyer un renfort au général Laffitte dans l’Ariège. Hélas, Suchet n’en avait absolument pas les moyens. Ce mouvement, estima-t-il, entraînerait de graves inconvénients pour sa petite armée sans pour autant soulager celle de Soult. Ce dernier ne se faisait d’ailleurs aucune illusion. Avec à peine trente mille hommes, alors que Wellington en commandait plus de soixante mille, il ne pouvait espérer que livrer une bataille défensive sans espoir, même en cas de nette victoire, de repousser les coalisés.
Et pourtant, malgré ces conditions défavorables, il brisa toutes les attaques anglaises, et si au bout de deux jours de combats il évacua la ville et se replia sur Carcassonne, ce fut faute de munitions. Son coup d’arrêt, en somme sa victoire, avait stoppé net les coalisés et dans sa retraite il ne laissait derrière lui ni un blessé, ni un malade, ni un canon.
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