Le Maréchal Suchet
faisait entrer le poids d’une autorité que Grouchy justement ne voulait pas reconnaître. Pour dénouer une crise qu’aucun des deux protagonistes ne souhaitait voir éclater au grand jour, Suchet s’adressa à Davout qui en parla à Napoléon. Le 15 avril, le ministre répondit à Suchet en l’envoyant par ordre de l’empereur faire une tournée qui allait le mener jusqu’à Limoges et à Paris. De ce fait, Grouchy était momentanément libéré de la tutelle de Suchet et, comme avant son retour il serait lui aussi élevé à la dignité de maréchal d’Empire, tous deux se retrouveraient sur un pied d’égalité.
Lorsque, le 14 mai, Suchet arriva à Lyon, il y trouva cette fois Grouchy qui l’y attendait pour lui transmettre le commandement de l’armée des Alpes. Aucun problème à caractère aigu ne se posant, la passation des pouvoirs fut rapide. Chacun des maréchaux était au demeurant décidé à y mettre du sien pour éviter d’ébruiter une querelle qui n’avait plus de raison d’être. Le même jour, Grouchy partit à Paris pour y prendre le commandement de toute la réserve de cavalerie de l’armée de Belgique.
L’armée des Alpes qu’il laissait à Suchet et que depuis un mois il s’efforçait d’organiser n’avait guère d’armée que le nom. Les troupes de ligne ne comptaient que six mille quatre cents hommes comme effectifs. Elles étaient en théorie renforcées par des gardes nationales dites « d’élite » dont la valeur militaire allait se révéler douteuse et surtout irrégulière. Son artillerie était assez faible. Suchet, qui sans connaître l’importance des troupes adverses pouvait tabler, sans se tromper, sur des unités entre trois et quatre fois plus nombreuses que les siennes, s’efforça d’étoffer celles-ci et surtout de les équiper correctement avec les faibles moyens dont il disposait. Mais surtout le temps allait lui manquer pour mettre sur pied un ensemble homogène, car il savait que les alliés n’allaient pas commettre l’erreur de laisser à Napoléon le loisir de s’organiser.
Maniant des chiffres qui étaient souvent fort éloignés de la réalité, Napoléon, au mois d’avril, avait décrété que l’armée des Alpes comprenait deux divisions d’infanterie dont les effectifs s’élevaient à vingt-cinq mille hommes, une division de cavalerie : mille huit cents chevaux, deux compagnies de génie et trente pièces de canon. Elle serait de plus augmentée de seize bataillons de garde nationale « d’élite ». Malgré les efforts de Suchet et de son état-major, à la mi-mai, il était encore assez loin de ces chiffres par trop optimistes puisque les deux divisions d’infanterie ne totalisaient que huit mille soldats et officiers, celle de cavalerie, un millier d’hommes et pour la garde nationale c’était bien pis. Elle ne comptait que quatre mille hommes sous les armes totalement inaptes au service en campagne. Certes, les dépôts disposaient de recrues de l’Ardèche, de la Haute-Loire, de l’Isère et de la Drôme ; mais il fallait les instruire et les équiper, ce qui demanderait plusieurs mois.
Or Suchet savait, dès ce moment, que sans même tenir compte de l’armée sarde les Autrichiens disposaient en Italie d’une armée de soixante mille hommes qui se préparait à franchir les Alpes. Il en avertit Napoléon. Cette fois, l’empereur ne le berça même pas de promesses. Il laissa à Davout le soin de lui répondre et ce dernier avertit son camarade que le commencement des hostilités approchait.
En même temps qu’il essayait de résoudre son problème d’effectifs, Suchet se préoccupait de mettre en état de défense les différentes places de son secteur, à savoir Grenoble, Fort Barraux, Briançon, Mont-Dauphin, Fort-Queyras et Embrun, car il pensait bien qu’avec ses forces réduites il n’aurait pas la possibilité de contenir partout une offensive autrichienne. Quant à Lyon, encore qu’il fît élever quelques ouvrages autour de la ville, il savait que ne disposant d’aucune fortification elle était indéfendable.
Les traités de 1814 avaient donné au roi de Sardaigne toute la portion de Savoie française, à l’est d’une ligne allant du lac de Genève à Montmélian et incluant la vallée de la Maurienne. De ce fait, Suchet se trouvait dans l’impossibilité de porter sa ligne de défense jusqu’aux cols du Mont-Cenis et du Petit-Saint-Bernard. Et quand, au mois de mai, Napoléon le
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