Le Maréchal Suchet
lui avait suggéré, Suchet s’était montré réticent en raison de la faiblesse des moyens dont il disposait. Du reste, l’empereur était vite revenu sur son idée. Pour lui, seule l’armée du nord, dont il assurerait personnellement le commandement, était destinée à prendre l’offensive. Les autres (dont celle des Alpes) devraient se contenter d’essayer d’empêcher les ennemis d’envahir le territoire français.
Au début de juin, Suchet reçut trois mauvaises nouvelles dont deux le concernaient directement. Murat, qui était entré en guerre contre l’Autriche depuis son royaume de Naples pour sauver son trône, ne s’était pas concerté avec Napoléon pour coordonner leurs mouvements. Il avait été écrasé à Tolentino, libérant ainsi des forces autrichiennes qui allaient se joindre à celles marchant déjà contre la France. Ensuite, depuis le mois de mars, les autorités du canton suisse de Genève avaient augmenté considérablement leurs forces militaires en faisant appel aux autres cantons. Sans y prêter trop d’attention, persuadé du reste que les Genevois agissaient de la sorte pour garantir leur neutralité, Suchet n’en avait pas moins averti Davout dès le 19 mai. Et voici que, le 4 juin, le conseil de Genève décidait de se joindre à la coalition ! Ce n’étaient pas tant ses troupes qui inquiétaient Suchet que le fait qu’en accordant le libre passage sur leur territoire aux armées ennemies ce canton rendait considérablement plus difficile la défense française dans le Jura et dans l’Ain. C’était par Lons-le-Saunier que l’année précédente les alliés avaient marché sur Lyon.
Enfin, mais là Suchet n’avait aucune influence sur le déroulement des événements, la Vendée s’était soulevée contre l’autorité impériale immobilisant encore des troupes. Une nouvelle agréable, par contre. Le 4 juin, l’empereur avait nommé Suchet pair de France. Il ne siégea jamais dans la haute assemblée impériale et cette faveur lui vaudra pas mal d’inconvénients après le retour du roi.
Il continuait à organiser cette armée des Alpes au milieu de difficultés inouïes. Si ses troupes de ligne, son corps de bataille, ne comptaient toujours qu’un peu plus de neuf mille hommes alors que Napoléon avait escompté qu’elles en aligneraient vingt-cinq mille, par contre les divisions de garde nationale avaient vu leurs effectifs gonfler jusqu’à comprendre douze mille soldats. Mais ceux-ci étaient mal équipés, mal entraînés et Suchet ne pouvait guère compter sur eux que comme troupes de seconde ligne.
Quant aux trois mille cinq cents autres gardes nationaux, ils étaient tout juste capables d’assurer le service dans les places et, de plus, il leur manquait seize bataillons. Son artillerie ne comptait que quarante-deux pièces et la garde nationale, pour sa part, ne s’en était vu attribuer que douze.
Dès lors, Suchet, pour lutter dans des conditions qui lui permettraient, sinon de vaincre, du moins de résister un certain temps, comptait sur la nature du terrain qui facilitait une défense et sur le fait qu’aussi bien lui que ses deux divisionnaires Curial et Dessaix avaient pratiqué et connaissaient parfaitement la manière de mener la guerre en montagne.
Il était néanmoins sans illusions : soit qu’il concentrât ses forces en un seul point, et dès ce moment il laissait le libre passage sur les autres, soit qu’il les déployât sur l’ensemble de son secteur et alors il serait trop faible partout, ses chances de réussir à remplir sa mission étaient chaque jour de plus en plus réduites.
Dans une lettre du 11 juin à Davout, Suchet laissa percer son désespoir, ce qui était assez exceptionnel chez lui. Sa missive se croisa avec celle du ministre qui lui annonçait que les hostilités commenceraient le 14. Le même jour, le prince d’Eckmühl tout aussi pessimiste que son camarade sur les résultats de la campagne lui recommandait de se préparer à un repli sur Lyon et de se défendre dans la ville, donc d’y faire « de grands approvisionnements de subsistances ».
La grande chance de Suchet résidait dans le dispositif de ses adversaires. Le gros, la quasi-totalité de leurs troupes, se trouvait encore de l’autre côté des Alpes à la mi-juin et ils ne se pressaient pas d’avancer, persuadés que le seul énoncé de leurs forces suffirait à maintenir l’armée française immobile. Dans la Savoie piémontaise,
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