Le Maréchal Suchet
qu’ils allaient se rencontrer à nouveau dans un proche avenir. Comment auraient-ils pu imaginer qu’ils ne devaient jamais se revoir ?
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Aussitôt après le débarquement de Napoléon, le duc d’Angoulême, qui se trouvait à Bordeaux en visite officielle avec sa femme, avait gagné Nîmes, dès le 10 mars, pour y installer son quartier général et y organiser, suivant sa propre expression, « une Vendée méridionale ». L’idée n’était point sotte car le Midi s’était montré depuis longtemps foncièrement royaliste et les mouvements de résistance à l’Empire avaient proliféré. S’il apparut impossible au duc et à ses amis d’utiliser la majorité des régiments en garnison dans la région, car ils étaient rien moins que sûrs, il y en eut tout de même cinq qui l’assurèrent de leur fidélité au roi. De plus, les royalistes de toutes les classes de la société accoururent en nombre se mettre au service du prince qui se trouva bientôt à la tête de dix mille hommes, sans compter les gardes nationaux qui lui demeuraient fidèles.
Dès lors, à ses yeux et à ceux de son entourage, il ne fut plus question de tenir le maquis mais de marcher sur Lyon et, de là, en s’appuyant à la fois sur la population et les alliés, sur Paris. Ce programme pouvait paraître téméraire mais ses chances de succès n’étaient pas nulles s’il était rapidement mis à exécution. Le plan du duc était simple. Son armée remonterait la vallée du Rhône, articulée en trois colonnes, chacune commandée par un général de valeur. Celle de droite passant par Sisteron contournerait Grenoble et foncerait sur Vienne pour y rejoindre celle de gauche qui remonterait la rive droite du Rhône. Celle de l’extrême gauche constituerait une sorte de flanquement contre des forces bonapartistes pouvant venir de Clermont-Ferrand.
Il fallut attendre la fin de mars, c’est-à-dire presque un mois, pour que Napoléon comprît le danger que représentait l’armée du duc d’Angoulême. Elle progressait et chaque fois que ses unités trouvaient en face d’elles des forces bonapartistes trop faibles ou mal commandées elle les bousculait. Le 29 mars, Montélimar tombait aux mains de l’armée royale. Le 2 avril, le combat plus sérieux de Loriol voyait la déroute des troupes bonapartistes et, le 3, le duc d’Angoulême entrait à Valence. À Lyon, il le savait, ses partisans relevaient la tête et préparaient plus ou moins ouvertement une insurrection. Mais, le 2, Grouchy, envoyé par le gouvernement, était arrivé à Lyon et avait repris en main les unités impériales, recevant en même temps des renforts. Aussi l’armée du duc fut-elle contrainte de battre en retraite d’autant que sa colonne de droite avait rencontré les pires difficultés.
Le 7 avril, revenu à Montélimar, le duc, qui voyait ses forces fondre et l’abandonner, demanda à traiter, proposant de gagner Marseille et d’y embarquer. Après avoir négocié, on lui imposa Sète. Il accepta mais Grouchy refusa de ratifier cette capitulation. Il tenait à retenir le duc prisonnier et l’aurait très bien fait fusiller si Napoléon le lui avait ordonné. L’empereur, assez habilement, se rallia à la thèse de l’embarquement. Le duc quitta Sète le 16 avril. Dans cette affaire ridiculement facile, Grouchy gagna son bâton de maréchal qu’il attendait depuis longtemps mais qu’il devait payer cher dans les années suivantes.
Pour l’heure, ayant maté l’insurrection royaliste et prenant en main l’organisation de la défense du sud-est, Grouchy refusait de se considérer comme le subordonné de Suchet pour la simple raison qu’il était plus âgé que lui et plus ancien en tant que général de division. Suchet qui avait toujours su se montrer un chef à l’esprit large et compréhensif mais dont le caractère autoritaire était bien connu n’admettait guère ce genre d’insubordination. Il y avait un motif supplémentaire de mésentente entre les deux maréchaux. Grouchy avait fait preuve d’une certaine brutalité et d’un manque de tact vis-à-vis du duc d’Angoulême dont Suchet, pour sa part, n’avait eu qu’à se louer.
À son arrivée à Lyon, Suchet, alors qu’il s’était attendu à y trouver Grouchy, eut la surprise de constater qu’il était parti dans le sud. S’échangea alors entre eux une correspondance aigre-douce, enveloppée de beaucoup de formules de politesse, dans laquelle Suchet
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