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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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que deux choses : avoir la paix et dormir. La seconde, surtout, lui était indispensable. Et voilà qu’on venait lui demander avec une honteuse insouciance de veiller toute la nuit en compagnie d’une future victime qui, assurément, allait se trouver dans un état lamentable. Une femme aux abois qui, sans doute, se tenait prête à lui offrir d’inexistants monts et merveilles, à lui faire don de sa personne même, pour peu qu’il l’épargnât. Tout cela en vain. On exigeait ni plus ni moins de lui qu’il fît le travail d’un aumônier. Tout cela en sous-entendant qu’il avait en outre le devoir de se présenter frais et dispos sur l’échafaud le lendemain midi. C’était absurde.
    Le courrier l’arracha soudain à ses réflexions :
    — Ah, bourrel*, savez-vous que je vous envie ? C’est qu’elle est plutôt mignonne, la gueuse. Le roi aura sa tête, mais vous, vous aurez son corps. Sacré veinard ! Allez, bonne nuit, si j’ose dire. Hé ! Hé !
    Il tourna bride. Les sabots ferrés de son cheval animèrent un instant l’impasse déserte, et Louis fut laissé seul avec sa sommation. Il serra l’un des barreaux de sa grille et appuya pensivement son front contre le fer froid.
    Le soleil se couchait. Loin au-dessous de l’endroit où il se tenait, les eaux languissantes de la douve du palais de justice frémissaient parfois sous quelque mouvement brusque des carpes, tanches et anguilles qu’on y élevait. Louis passait un peu le temps en laissant tomber dans ce vivier de petits cailloux qui attisaient un instant la curiosité des poissons. Une pierre en forme d’oiseau ricocha contre l’orteil* avant de sombrer entre les mailles lâches des algues.
    Personne ne venait le chercher. Il décida donc d’aller faire un tour jusqu’en bas, dans la cour. Il réfléchissait.
    Trop nombreux étaient les fonctionnaires de justice corrompus qui profitaient d’une manière éhontée de leur pouvoir. Dieu seul savait combien de marchés fantoches avaient été conclus dans le secret des donjons, combien de viols et de duperies avaient été commis avec l’approbation passive d’autorités dont ils étaient les représentants indignes et qui fermaient les yeux sur ces pratiques écœurantes. Un condamné avait beau être décompté, il n’en restait pas moins un être vivant en sursis. Il était de mise pour un exécuteur consciencieux de manifester un minimum de respect à son égard. On devait agir avec lui comme on l’eût fait avec un mourant. C’était le simple bon sens. Hormis Firmin, aucune des victimes de Baillehache n’avait jamais eu à subir d’injures ni d’humiliations de sa part. Juste ce qui avait été prescrit par la sentence.
    Alors qu’il traversait la venelle sombre qui séparait la prison de l’une de ses dépendances en bois, il aperçut un groupe d’hommes qui bavardaient devant lui dans la lumière déclinante de la cour. Il s’arrêta avant d’être vu et s’apprêta à faire demi-tour. Il n’avait envie de voir personne. Il se trouvait toujours quelqu’un quelque part qui souhaitait lui parler d’elle et de ce qu’il allait devoir faire, sans toutefois l’oser.
    L’un des hommes racontait :
    — Le bayle en a perdu le sommeil depuis presque une semaine. Ça se comprend. Mais Baillehache, il lui a dit de ne pas s’apitoyer, que tout se passerait bien, et il s’en est allé faire sa petite affaire, fendre la lèvre à un voleur (123) , je crois, comme si de rien n’était. Mais une femme, ça n’arrive pas très souvent et c’est tant mieux. « Ce n’est pas pareil, une femme, qu’il lui a dit, à Baillehache, c’est comme une mère, en tout cas ça peut l’être. » Et savez-vous ce qu’il a répondu ? Non ? Il a dit : « Un bon exécuteur n’a pas d’états d’âme. »
    — Par tous les saints, c’est une sacrée canaille, ce Baillehache. Je le crois capable de tirer du sang à une pierre.
    — Je me demande s’il est arrivé. En tout cas, il doit être bien content. Je n’arrive pas à croire que la malheureuse ait pu demander à coucher avec ce démon sanguinaire.
    Une silhouette noire sortit de l’ombre et dit, d’une voix glaciale :
    — Le démon sanguinaire est là.
    Tétanisés d’effroi, ils firent aussitôt silence.
    Louis se résolut à aller s’asseoir sur un tonneau. Et là, posément, aux yeux de ces producteurs de commérages dont il prit un malin plaisir à rabattre le caquet, il entreprit l’affûtage

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