Le mariage de la licorne
Louis, dit-elle.
— Bonsoir, dame.
— Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous n’avez qu’à cogner, dit le geôlier au bourreau.
La porte fut refermée sur eux.
La pâleur du visage de la dame d’Harcourt avait été soigneusement camouflée par une pommade à base de safran. Ce ne fut pourtant pas là mais sur son cou que s’attardèrent les yeux sombres, analytiques de l’homme. Cela fit à Isabeau l’effet d’un effleurement métallique et elle en fut glacée jusqu’aux os. C’était atroce. Elle eut subitement envie de le mettre à la porte.
— As-tu faim ?
— Oui.
Du geste, elle l’invita à s’asseoir.
— Sers-toi, ne te gêne pas. Moi, je suis incapable d’avaler quoi que ce soit.
— Merci.
Seul, il fit honneur au repas raffiné qui lui rappela Saint-Sauveur-le-Vicomte. Elle s’assit devant lui et le regarda tout dévorer en silence, comme un loup affamé. Quant à elle, elle se sentait incapable d’ingurgiter autre chose que du vin du Roussillon. Il remarqua ce détail. C’était bien compréhensible et il ne fit aucun commentaire. Elle devait avoir bien besoin de vin. De temps en temps, la bouche pleine, il levait les yeux sur elle. Une fois, elle demanda avec un sourire timide :
— C’est bon ?
— Oui.
Elle soupira.
— Si tu savais comme j’envie ton appétit. On dirait que mon corps est plus sage que je ne le suis moi-même. Il sait que… que ce n’est désormais plus utile d’avoir faim. Non, je t’en prie, continue de manger, Louis. Finis-tout si tu en as envie. J’apprécie beaucoup cette marque de respect et je t’en remercie.
Elle voulut lui verser du vin, mais il l’arrêta.
— Laissez, je m’en occupe.
Tout en mâchant, il en remplit leurs deux coupes et expliqua :
— Je n’ai pas mangé depuis hier soir. Pas eu le temps.
Elle lui sourit.
— Combien j’ai rêvé de te revoir en face de moi comme ceci. Te souviens-tu des matefaims* ?
Il fit signe que oui.
— Je n’en ai jamais mangé de meilleurs depuis. Jamais. Et Dieu sait si mon cuisinier a essayé de m’en faire.
Louis fit passer sa dernière bouchée avec un peu de vin et s’essuya les mains avec le rebord brodé de la nappe. Isabeau dit :
— Nous avons tant de choses à partager. Comme il est étrange, ce destin qui m’amène à souhaiter passer ma dernière nuit en ce monde auprès d’un personnage aussi lugubre que toi, toi dont on dit que tu ne possèdes de l’humain que l’apparence !
— Je ne vous le fais pas dire.
— Mais j’ai eu le bonheur de te connaître dans de meilleures circonstances. Je n’oublierai jamais la joute, ni ton comportement admirable devant la défaite de mon neveu, ni la blessure que tu as reçue pour moi.
Se pouvait-il qu’Isabeau ne voulût rien d’autre que d’être en sa compagnie ? C’était rare, mais la chose lui était déjà arrivée avec d’autres. Des gens qui avaient soudain cessé de le craindre et ce, au moment même où il s’apprêtait à devenir concrètement terrible ; ils lui avaient parfois demandé de rester un moment avec eux comme s’il s’agissait d’une faveur. Il leur arrivait effectivement d’en attendre davantage de lui. Cela pouvait même aller jusqu’à la quête d’ultimes liens d’amitié. Il avait toujours accédé à leurs prières.
Il avait aussi remarqué comment, chez ses confrères tels que maître Gérard, juste avant ou après la mise à mort, les mots pouvaient parfois couler comme un ruisseau de printemps. Mais, en règle générale, c’étaient surtout ceux qui s’apprêtaient à mourir qui parlaient d’abondance. C’était un peu comme s’ils souhaitaient laisser une trace de leur passage, et le destin voulait que ce fût lui qui soit là pour recueillir cet épanchement trop souvent fait de larmes. Cela lui était incompréhensible. Il comprenait mieux le rejet et la rancune.
Isabeau se mit à raconter à Louis toutes sortes d’anecdotes et de potins à propos de Saint-Sauveur-le-Vicomte, comme s’il était un vieux camarade et non pas celui qui était là pour lui enlever la vie. Il écoutait sans intervenir. Il n’ignorait pas que, lorsqu’un condamné était mis face à face avec son bourreau, il passait aux aveux beaucoup plus volontiers que devant le tribunal de justice. Louis jugeait plus prudent de vérifier et cela, sans avoir à exercer aucune contrainte. « Ils ne mentent pas au bourreau », disait-il fréquemment.
Mais il
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