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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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s’avéra qu’Isabeau n’avait rien d’autre à avouer. Ses précieuses confidences appartenaient à un confessionnal, pas à une salle de tortures. Elle n’avait été qu’un pion dans l’immense jeu d’échecs des grands de ce monde. Un pauvre petit pion blanc, trop aisément éliminé par l’effet d’une faute commise par un autre.
    — Bon, assez parlé de moi. Qu’en est-il en ce qui te concerne, Louis ? Tu ne m’as jamais beaucoup parlé de toi. Ne crois-tu pas que tu pourrais le faire, à présent ? Allez, donne-moi de tes nouvelles.
    Elle en était à sa troisième coupe de vin. Peut-être fut-ce cela qui lui fit poser sur son bras une main gantée de chevrotin rouge. Le regard de Louis erra sur la manche ridée as las*, mais ne bougea pas. Il ne sut que lui dire. Les gens lui posaient rarement des questions sur lui-même ; ils avaient plutôt tendance à être davantage préoccupés par leur propre mortalité.
    — Ça va, dit-il en buvant un peu de vin.
    — Toujours aussi bavard, à ce que je vois.
    Elle lui secoua amicalement l’avant-bras et dit :
    — J’ai ouï dire que tu étais fiancé à une petite d’Augignac. Est-ce vrai ?
    — Oui.
    — Elle a bien de la chance, qui qu’elle soit. Es-tu heureux, Louis ?
    Le vin dans la coupe du bourreau chercha à faire une escapade sur la nappe. Il en but précipitamment avant de poser son récipient sur la table et répondit, non sans une certaine douceur :
    — Je me porte bien. Dame, avec tout le respect qui vous est dû, je vous prierais de bien vouloir me laisser en dehors de cette conversation. Je suis tout disposé à être pour vous une oreille attentive si vous en ressentez le besoin. Mais ne comptez pas sur moi pour parler de ma vie privée. Moi, je n’éprouve nullement ce besoin.
    — Né te fâche pas.
    — Je ne suis pas fâché.
    — Tu m’as manqué, tu sais. Je te souhaite tout le bonheur possible.
    Il ne dit rien et la regarda. Sa main qui lui serrait toujours le bras se retira à l’instant où elle commença à en ressentir du malaise.
    — Excuse-moi.
    — Ce n’est rien.
    Le silence s’installa. Et, chose étrange, ce fut au cours de ce silence que se tissa un lien entre l’exécuteur et sa victime. Même Louis ne put l’arrêter. C’était un lien intime à l’extrême, quelque chose qui transcendait les vaines paroles. Isabeau n’eut jamais cru cela possible. Ce lien, elle s’en rendait bien compte maintenant, était ce qu’elle avait réellement attendu de cette visite. C’était le tout dernier contact humain qu’elle allait avoir. Le visage de Louis, le visage aimé était le dernier qu’elle allait voir avant de quitter cette terre.
    — Peut-être devrais-je t’appeler mire*, puisque tu es venu pour m’épargner de la souffrance.
    Il ne répondit pas. Elle quitta sa place et vint vers lui.
    — Étreins-moi. J’ai peur.
    Doucement, timidement, il se leva et l’enlaça. Il la sentait trembler entre ses bras. Leurs odeurs s’entremêlèrent en même temps que les battements de leurs cœurs. Isabeau dégageait un agréable parfum fait d’aromates, de myrrhe, de muscade et d’aneth. Louis sentait simplement le propre, le savon domestique, car il s’était baigné à son arrivée.
    Isabeau dit :
    — Un prêtre viendra me voir demain matin. Ce sera pour entendre ma confession. Mais, avec toi, ce n’est pas pareil. Tu sais vraiment à quoi cela ressemble de mourir. Dis-moi comment on meurt. Aurai-je mal ?
    Que répondre à cela ? Louis fut bien aise d’être soustrait, ne fût-ce que pour un instant, au regard de sa victime.
    Mourir par l’épée ne pouvait qu’être très rapide, sauf si le bourreau manquait son coup. La souffrance physique ne pouvait guère durer longtemps. Il répondit :
    — Très peu. D’après ce que j’en sais.
    — Tu en es sûr ?
    Louis regarda une tache de vin qu’il avait faite sur la nappe et hésita.
    — Non, dit-il tout bas.
    Comment pouvait-on affirmer avec certitude que séparer un corps de sa tête était à peu près indolore ? Il s’était souvent questionné sur les spasmes nerveux qui agitaient les corps et sur l’expression des visages des décapités. Il voulait à tout prix éviter de lui avouer ce qu’il pensait : que les souffrances continuaient un peu après la décapitation, qu’il l’avait lui-même constaté d’après ce qu’il avait pu voir des visages convulsés, roulant des yeux avec cet air enragé qui

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