Le mariage de la licorne
étoiles dans le bleu intense du ciel. Bientôt, il allait être en sécurité avec cette femme. Sa femme. Les bras de Jehanne lui entourèrent le cou comme deux tentacules roses. Il baissa la tête. Son esprit s’égara et se mit à détailler les fleurs brodées, à peine perceptibles dans le crépuscule du corsage de sa fiancée.
— Chère Jehanne, dit-il.
— Je vous aime.
Leurs visages se rapprochèrent. « L’amour ? » songea-t-il en lui caressant la nuque. Deux larmes se réfugièrent hâtivement dans la chevelure couleur de blé.
Au souper, Louis sortit quelque chose de sa poche et le remit à Jehanne. Aucune parole ne fut échangée, ce qui incita Lionel à émettre tout bas un commentaire :
— Tiens, un cadeau. Il y a de ces fois où le mutisme du bonhomme a quelque chose d’exaspérant. Il lui offre ce présent inattendu, paf, comme ça, sans un mot d’explication.
Il observa le couple et chuchota encore :
— En revanche, ce qu’il y a d’agréable avec lui, c’est qu’on n’a pratiquement pas besoin de parler.
— Sauf quand il y tient. Et c’est habituellement à partir de là que ça se gâte, répondit Sam, lui aussi tout bas.
Dans le creux de sa main, Jehanne sentit le contact frais et doux d’un petit boîtier en bois. Elle en enleva le couvercle sur lequel une rose entière était gravée. Une cascade de billes en bois lui coula doucement dans la paume lorsqu’elle en retira un collier. C’était un bijou rustique, presque grossier. Mais cela même lui donnait un aspect inexplicablement unique. Chacune des menues perles teintes en rouge sombre avait été taillée, poncée et percée à la main pour l’enfilage, avant d’être sculptée de façon à y évoquer l’ébauche de pétales de roses. Tout le monde s’émerveilla du geste lui-même tout autant que du cadeau. Jehanne, incrédule, ne se lassait pas d’admirer le collier.
— Oh, maître, est-ce vous qui l’avez fait ?
— Oui. J’avais déjà fabriqué des perles de patenôtriers* avec des dés en ivoire, dans le temps.
Elle ne trouva rien à dire tellement elle était émue. Elle regarda les mains puissantes de Louis, puis à nouveau les petites perles. Elle ne pouvait que deviner la somme de travail qu’avait dû exiger la fabrication de ce bijou. Il avait dû s’y consacrer en secret pendant des mois, au long des nuits, à la seule lueur de la chandelle. Et c’était là un cadeau si personnel ! Comment Louis, dont elle connaissait les scrupules, avait-il trouvé le courage de le lui offrir devant tout le monde ?
— C’est… il est magnifique, souffla-t-elle.
— Je suis content que ça vous plaise.
Jehanne se leva et alla se planter devant Louis. Elle lui tendit le collier en souriant.
— La touche finale, c’est de me le mettre vous-même, dit-elle, radieuse.
Louis se leva et lui fit face. Il lui entoura les épaules pour attacher le petit fermoir du collier, et tout le monde applaudit. Tout le monde sauf le père Lionel et Sam, qui se leva et battit en retraite dans la cuisine sans refermer la porte derrière lui.
Le moine fut pris d’un léger vertige. Rien n’avait été dit. Mais il avait maintenant la certitude que la grande demande, le geste officiel, allait être pour ce soir-là. Il se leva de table et suivit Sam dans la cuisine. Son malaise empira lorsqu’il s’aperçut que Louis cherchait à l’intercepter depuis sa place.
— Accordez-moi un instant, lui dit-il vaguement.
Sam avait entrebâillé la porte dans le but d’épier les dîneurs ; au lieu de quoi, il regarda Lionel s’appuyer au rebord de l’évier pour prendre de longues inspirations. Louis mis à part, les autres ne remarquèrent rien de cette tension, le repas et les conversations étant bien entrepris.
Lionel déglutit péniblement. Blême, il cherchait son souffle.
— Vous avez mal au cœur, mon père ? demanda Sam.
— Oui, dit Lionel.
Une réponse aussi brève venant de lui ne pouvait manquer de susciter l’inquiétude.
— J’appelle Margot, dit le jeune homme.
— Non, surtout pas.
— Elle peut vous préparer un remède.
— J’en doute. J’ai mal au cœur. Je n’ai pas dit que j’avais la nausée.
Sam comprit. Ce mal de cœur, c’était de la peine.
— Dites-lui non. Refusez, dit Sam d’une voix sourde.
Des larmes brillèrent sous les cils du moine. Il prit une grande inspiration, la retint comme une dernière chance, mais celle-ci s’enfuit
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