Le mariage de la licorne
avant de me répondre, demoiselle. Car nous n’en reparlerons plus.
— J’ai toujours cru que les bourreaux étaient des êtres malpropres et impolis. Qu’ils ne savaient que se montrer violents, cruels, dénués de conscience.
— Beaucoup le sont, et nombreux sont ceux qui me perçoivent comme cela.
— Pas moi.
Il marqua un temps, avant de répondre :
— Je sais.
— Toutefois, qui vous blâmerait de l’être, étant donné la façon dont on vous traite ?
— En général, les gens ont plutôt tendance à se montrer aimables avec moi.
Elle sourit, visiblement soulagée.
— C’est vrai ?
— Oui. La crainte rend poli.
Les yeux de Louis scintillèrent comme si lui aussi souriait, à sa manière, sans pour autant que la joie modifiât ses traits. Il dit :
— Maintenant, dites-moi la vraie raison pour laquelle vous m’êtes revenue.
— C’est assez difficile à expliquer. Il y avait quelque chose de très fort. Cela me disait que c’était la chose à faire.
Les lèvres de Louis se retroussèrent en une ébauche de sourire et il pensa : « On appelle ça la tentation de la luxure, petite buse. Rien n’est plus dangereux. » C’était cela qui menait le monde, même si l’on faisait tout pour cacher la chose derrière d’autres noms qui n’étaient en définitive que déguisements hypocrites. Plus le temps passait, plus il se rendait compte à quel point il était choyé d’avoir été soustrait à ces détresses humaines avilissantes.
Jehanne poursuivit :
— J’éprouvais de la compassion pour vous. Comme si vous aviez eu besoin de quelque chose. De quelque chose de très important et qui vous fit défaut.
Le demi-sourire de Louis se cassa. Il se reprit rapidement et dit, d’un ton sec :
— Il y a autre chose que vous devez savoir : j’ai été contraint d’exercer ce métier pour avoir assailli un noble. Et ce noble, c’était votre père. C’est à lui que je dois d’être un exécuteur. N’est-ce pas là un juste retour des choses ?
Il laissa la jeune fille accuser le coup, ce qu’elle fit avec un désarroi silencieux. Elle ne lui demanda pas d’explications. Cela saurait venir en son temps. Il ajouta :
— Maintenant, vous savez tout ce qu’il faut pour prendre une décision. Je vous accorde le choix de bon gré. Songez à ce que cela représente si je pars.
— Vous voulez dire… Sam ?
— Oui. N’est-ce pas lui que vous aimez ?
L’adolescente regarda à terre. Ses yeux se remplirent de larmes. Elle dut se mordre les lèvres pour ne pas pleurer. Il ne réagit pas quand elle secoua vigoureusement la tête.
— Sam lutte, lui aussi. Cela fait peine à voir. Pourquoi est-ce si difficile ? Ce jour-là, lorsqu’il vous a assailli, il avait beaucoup trop bu. Je le sais, il me l’a dit. Cela l’a rendu malade. Maître, je sais qu’il cherche à vous nuire. Je vous en prie, pardonnez-lui.
Le bourreau fut pris au dépourvu. Curieusement, il se sentit davantage choqué par cet aveu que par ses affrontements avec l’Escot*. Il ralentit le pas.
— Lui aussi voudrait que je n’existe pas, dit-il. Les intrus comme moi ne peuvent rien faire d’autre que se défendre.
Évitant de trop fixer sa fiancée avec ses yeux faits pour foudroyer, il abaissa le regard pour vérifier le bandage rigide qui formait une tache blanche incongrue autour de sa gorge. Pourtant, ce fut bien de la tristesse qu’elle vit en eux.
Il dit, tout bas :
— Ensuite, ils se le font reprocher.
Jehanne se posta devant lui. Elle qui, encore la minute précédente, s’était trouvée aussi démunie face à ses deux hommes qu’un oisillon qui venait de naître se sentit devenir forte. Sur le ton de la dame qu’elle devenait, elle dit :
— Ce ne sont pas des fables. Vous m’avez décrit les choses telles que vous les percevez. Chacun les perçoit à sa manière. Mille personnes créent le monde mille fois. Et chacun de ces mondes-là change un peu tous les jours.
Elle lui posa les mains sur les épaules.
— Vous avez besoin d’un jardin dans le vôtre.
Il cligna des yeux.
— Un jardin ?
— Notre jardin. Soyons jardiniers tous les deux. Nous y ferons pousser les plus jolies fleurs. Nous aurons des roses. Et l’une d’elles s’appellera Amour.
Elle ne put s’empêcher de songer que Sam eût apprécié cette allégorie. Louis, naturellement, n’en dit rien.
Un jardin. L’amour. Il leva la tête et chercha l’une des premières
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