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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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accrochée à la porte du manoir éclairait une bruine en suspension qui dénonçait novembre. Les pas arythmiques de l’ivrogne qui essayait de courir dans l’allée ne firent tressaillir que les peupliers somnolents.
    Sam tituba jusqu’à la fenêtre de Jehanne et cogna doucement dans les volets.
    — Jehanne, je t’en prie, laisse-moi entrer, supplia-t-il d’une voix retenue.
    Inquiète, la jeune fille se leva et alla ouvrir sa fenêtre.
    — Que fais-tu là à noqueter*, Sam ? Ils ont barré la porte en ton absence ? Mon Dieu, tu es tout gelé.
    Elle le tira par le bras afin de l’aider à enjamber la fenêtre. Il ne lui fallut pas longtemps pour se rendre compte qu’il était passablement éméché.
    — Il faut que je te parle.
    — Mais oui, mais oui. Entre. Prends ma couverture et mets-toi au chaud. Viens t’asseoir là, sur le lit.
    Il se laissa emmener sans offrir de résistance.
    — Jehanne, je t’en conjure, ne l’épouse pas. C’est un monstre.
    — Sam, nous en avons déjà parlé.
    — Non, nous n’en avons pas assez parlé. Le moine et toi, vous m’avez toujours tenu à l’écart. Je n’avais jamais mon mot à dire. Mais si, j’ai quelque chose à dire. Pardieu, laisse-moi te le dire.
    Il glissait sur ses mots comme sur des galets mouillés. Elle se mit à avoir peur de cet ami qui était en proie à une excitation éthylique. Le menton de Sam tremblait et de grosses larmes allaient se perdre dans ses boucles en désordre. Sa voix vacilla :
    — Je ne suis qu’un raté, un lâche. Si j’avais été brave, j’y serais allé jusqu’au bout. Pour toi.
    — « Jusqu’au bout » ? Sam, ne me dis pas que… que tu voulais…
    — Oui, je voulais l’occire. Je le veux encore. S’il te plaît, garde-moi avec toi.
    Jehanne ne dit rien. Elle avait été tentée de prendre place auprès de lui sur le lit, mais elle n’en fit rien non plus. Elle resta plantée devant lui. Il demanda :
    — Tu m’en veux, n’est-ce pas ?
    La chatte qui dormait avec Jehanne grimpa sur les genoux du jeune homme, mais elle n’apprécia pas son haleine et décida d’écourter ses manifestations tendres. La jeune fille répondit :
    — Comment pourrais-je t’en vouloir de m’aimer, mon doux Sam ? Mais j’ai si peur de… de…
    Elle faillit renoncer à trouver de quoi exactement elle avait peur, car les mots, choses trop mal dégauchies, refusaient de se soumettre aux idées qui se bousculaient dans sa tête. Néanmoins, elle parvint à trouver ce qu’elle voulait dire dans quelque recoin oublié et elle put compléter :
    — J’ai si peur de te perdre. À force de le haïr, tu es en train de devenir pire que lui, Sam. Tu me fais peur.
    Quelque chose se disloqua dans l’esprit de l’Escot*. Rompu, il ferma les yeux et dit tout bas :
    — Ah, ce que je suis fatigué. La femme que je ne cesse de chercher partout, c’est une Jehanne. Mais à quoi bon ? Il n’en existe qu’une seule et c’est lui qui l’a.
    Il commença à s’endormir.
    — Sam, non. Je suis désolée, mais il faut que tu sortes. S’il fallait qu’on nous surprenne ensemble dans ma chambre ! Allez, viens.
    Elle le contraignit à se lever, ouvrit la porte et regarda à gauche et à droite avant de s’engager dans le couloir en épaulant son ami. Le père Lionel et Louis avaient toujours le don de se réveiller quand il ne le fallait pas. Fort heureusement, cette nuit-là, aucun insomniaque ne traînait dans les parages. Elle ralluma une chandelle à l’aide des braises de l’âtre et reconduisit Sam à sa chambre, dans l’aile. Il s’écrasa sur sa couche sans demander son reste, pardessus les couvertures. Il marmonna tristement :
    — Je me demande comment ils se sentent, les oiseaux, dans les airs.
    Et il se mit à ronfler bruyamment.
    Quelque chose retint Jehanne dans la chambrette en désordre. Sur un lutrin, une surprise l’attendait. Le portrait qu’avait commencé Sam à son insu était terminé. Il s’agissait d’un portrait non pas d’elle, mais de Louis, et il était d’un réalisme à couper le souffle. Elle leva bien haut sa chandelle et s’avança afin de mieux examiner l’œuvre. Le regard autoritaire de Baillehache avait pris vie sur le portrait, intense, légèrement sarcastique, comme il savait l’être si souvent. Jehanne haleta. Le regard du tourmenteur était braqué sur elle et il attendait, patient, impitoyable, la réponse à sa question avant de torturer à

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