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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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cruellement. Lionel baissa la tête, vaincu.
    — Mon père…
    — Samuel. Regarde-les.
    Le jeune Écossais obéit. Jehanne avait tendance à se porter en avant, vers Louis, comme si son corps tout entier était relié à lui par d’invisibles connexions. La respiration de Sam siffla. Lionel dit :
    — Dis-le, mon fils, si j’ai le droit d’aller contre cela.
    — Vous n’avez qu’à leur refuser la bénédiction.
    — Ce n’est pas aussi simple. As-tu songé à Jehanne ? Si je ne lui donne pas mon consentement, que fera-t-elle, d’après toi ?
    — D’accord. Les peines d’amour, je connais. Mais cela demeure un moindre mal. Elle aura évité le pire.
    — Non, Samuel, tu te trompes. Le mariage n’est qu’une formalité. Si je le lui refuse, Jehanne partira tout de même avec maître Baillehache. Ils s’en iront trouver un autre prêtre qui, lui, acceptera de bénir leur union. Elle l’aime. Me mettre en travers du chemin de l’amour, ça, je ne le peux pas. Personne ne le peut.
    — Moi, je le ferai ! Sacredieu, oui !
    — Je te l’interdis.
    Le religieux lorgna en direction de la tablée et constata avec satisfaction que le bon ordre y régnait davantage que dans la cuisine. Il ne pouvait s’empêcher de voir en Sam un Tristan blessé, empoisonné par son amour, une force de vie qui, sans cesse confrontée au mal représenté par Louis, n’avait pour antidote que l’amour d’Iseult, en l’occurrence Jehanne, celle-là même qui le blessait sans le vouloir. Car en elle s’incarnait la puissance à la fois guérisseuse et mortelle de l’amour.
    Et Lionel devait affronter tout cela.
    — Tu en serais capable, je le sais. Mais, Samuel, écoute-moi bien. Si quelqu’un doit intervenir, ce sera moi. Moi et personne d’autre. C’est bien compris ?
    — Mais il la tuera, dit Sam.
    Une intense vie intérieure faisait chatoyer les yeux de Lionel.
    — Non. Si le Caïn qu’il y a en lui venait à se manifester, je te donne l’assurance qu’il ne tuera personne d’autre que lui-même.
    Pour clore cette discussion chaotique, il étendit la main d’un geste patriarcal qui en imposait et dit :
    — On ne touche pas à ça. Ne tente plus rien contre eux, mon garçon, je te le conseille. Sinon tu risques de le regretter toute ta vie. Souviens-toi des actes que tu as déjà commis et dont les conséquences ont failli être irrémédiables. Tu ne bénéficieras pas d’une telle chance une autre fois. Enfin, n’oublie pas ceci : toi, tu es libre. Pas lui.
    Lionel ne put s’empêcher de penser que, pour un minuscule accroc au passé, Louis eût pu devenir quelqu’un de très différent. Il demanda :
    — Tu le sais, n’est-ce pas ?
    Sam acquiesça en silence, soudain effrayé à l’idée qu’il pût être chassé de la ferme et éloigné de Jehanne. Le bénédictin dit encore :
    — Elle aussi, elle est libre. Comme toi. Si tu l’aimes un tant soit peu, je te demande de respecter sa décision. Retournons manger.
    Peu après leur retour dans la pièce à vivre, Louis se leva et alla se planter devant le moine, à l’autre bout de la table. Lionel reposa son bout de pain près de son écuelle et pensa distraitement : « Ces habits noirs ne lui conviennent décidément pas. Ils le font paraître beaucoup trop grand. » La voix du maître domina les papotages et les premiers borborygmes :
    — Mon père.
    Ce fut tout. Et cela suffit, car Lionel sursauta. C’était la première fois que Louis l’appelait ainsi. L’aumônier se leva à son tour et se laissa emmener par lui hors de la pièce.
    Personne en vue. Il faisait nuit noire. Sam se hâta d’oublier l’exhortation du moine. Selon lui, la vision de Lionel était hors de propos. Elle procédait d’une conception dépassée. Les poings serrés, il avait ruminé sa vengeance tout en se rendant du champ au manoir d’un bon pas. Évidemment, le père Lionel ne pouvait pas comprendre. Rien n’allait être modifié dans son plan malgré les recommandations encore toutes fraîches. Sans manquer de respect au religieux – le jeune homme l’estimait et ne mettait jamais en doute son autorité ni même ses discours excentriques – il estimait que pour cela et cela seulement, il faisait fausse route.
    Sam s’arrêta sur le seuil de la maison et sortit la feuille de sauge de sa poche. Il la perça en trois points différents. Il y enfila l’un de ses cheveux avec l’un de ceux de Jehanne et y mit le feu. Le

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