Le mariage de la licorne
c’est fait.
Isabeau sut tout à coup ce qu’elle allait faire. Elle applaudit du bout de ses doigts gantés, souriant mielleusement à Louis. Elle espéra qu’il ne voyait pas le tremblement de ses lèvres comme elle pouvait le sentir, elle.
— Cher maître. Nul ne m’a jamais dit que les roturiers pouvaient ainsi exceller au maniement des armes.
— Ça va, ça va, je te fais mes excuses, dit précipitamment d’Asnières.
Louis abaissa son arme et s’approcha de lui sans le quitter des yeux. L’écuyer recula contre le mur, alors que le bourreau levait la main vers lui.
— Ne bougez pas, lui ordonna-t-il.
Tenant toujours son épée lame basse dans son autre main, le bourreau prit le jeune homme à la gorge. Mais il ne serra pas. Il le regarda, l’air concentré. D’Asnières haleta. Ses yeux exorbités étaient fixés sur l’homme en noir qui s’apprêtait à l’étrangler, fi" sentit le gros pouce et les doigts de Louis appuyer contre deux points précis de son cou, là où se trouvaient les artères carotides. Ce n’était rien de douloureux, mais il y avait dans ce geste quelque chose de vaguement menaçant. Soudain, d’Asnières fut pris d’un vertige et s’écroula. La circulation sanguine des carotides, bloquée, avait brièvement interrompu l’arrivée d’oxygène au cerveau. Louis laissa tomber mollement le nobliau à ses pieds.
— Pour rendre sa défaite plus amère encore, remarqua Isabeau.
— C’est ça.
Isabeau s’en voulait de ne pas avoir évalué correctement la vaillance de son ennemi. Jamais auparavant elle ne s’était trompée. Le but véritable du geste que Louis venait de commettre devint vite plus évident à la dame : il s’était tourné vers elle et l’avait rejointe. Maintenant, isolée avec lui, elle n’osa plus bouger, même lorsqu’elle sentit à son tour contre sa peau les doigts rudes du tueur. La peur lui colla au ventre comme une boue glacée. Elle leva les yeux vers lui, lui offrant volontairement sa gorge. Louis demanda :
— Ça vous plairait d’essayer ?
Elle trouva encore le courage de lui sourire d’une manière charmante.
— Vous êtes beaucoup trop galant pour oser vous attaquer à une faible créature.
— Détrompez-vous. Il me faut assez souvent châtier des femmes.
Il se rapprocha d’elle au point que leurs vêtements se touchèrent. Elle rit nerveusement.
— Mais moi, je n’ai rien fait de mal. Pourquoi donc voudriez-vous me châtier ? En avez-vous beaucoup dans votre sac, des trucs comme celui-là ?
— Quelques-uns, oui.
— Certains pourraient croire que vous lui avez ravi son âme.
— Emprunté seulement. Il ne tardera pas à se réveiller. Isabeau ne se rendit pas tout de suite compte que les rôles s’étaient inversés : ces effleurements furtifs et ce magnétisme inquiétant qui émanait du regard de Louis semaient le trouble dans son esprit. Il savait. Il était lui aussi très habile, déconcertant même. Du pouce, il caressa la gorge offerte et demanda :
— Que me voulez-vous ?
— Savez-vous que vous avez malmené mon neveu ? C’est très grave.
Louis ne réagit pas. Elle rit doucement et reprit :
— Je plaisantais. Non, vous avez bien fait. Ce jeune prétentieux méritait une bonne leçon.
— Ah.
— C’est que, voyez-vous, la tâche d’un tuteur est bien ingrate. Surtout lorsqu’on est, comme moi, veuve… et libre. Je veille sur ce garçon depuis son plus jeune âge. Mais vient un temps où l’on doit enseigner à un homme des choses que seul un autre homme peut lui inculquer, sinon ces choses n’auront qu’une valeur de principe. Vous comprenez ?
— Je crois, oui.
— Merci de m’avoir aidée.
— De rien.
Louis recula et remit son épée au fourreau. Isabeau lui sourit de plus belle. « Parfait. Il n’y a vu que du feu », se dit-elle. Sa ruse avait pris. Il était moins une. Après tout, elle s’était peut-être trompée sur son compte. Ce Baillehache était sans doute aussi dénué de finesse qu’un gros ours.
D’Asnières roula sur lui-même et se mit à genoux à temps pour apercevoir l’écharpe brodée aux armes des Harcourt que sa tante offrait au bourreau d’un geste gracieux. Étonné, Louis accepta le carré de brocart* et s’inclina poliment. Isabeau dit :
— Je serai fort honorée de voir un preux tel que vous arborer mes couleurs.
— Pardon ?
— Veillez à prendre du repos afin d’être dispos pour la joute de
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