Le mariage de la licorne
poumons chaque fois. Cela n’allait pas du tout : après deux jours d’entraînement, il n’avait pas encore acquis suffisamment d’habileté pour éviter la pesée. Il n’avait encore obtenu aucun résultat satisfaisant. Il était certain d’avoir le dos bleui par les coups, car il n’avait pour armure que sa broigne*. « Ce ne peut pourtant pas être pire qu’à Maupertuis », se dit-il, frustré, après une journée exténuante passée à la quintaine*. Il s’était quelque peu familiarisé avec le maniement d’une lourde lance de joute au bout arrondi et avait vite su comment il fallait l’appuyer au creux du coude et éviter de trop l’abaisser. Heureusement, Tonnerre semblait avoir l’habitude de ce genre d’exercice et il l’y aidait de son mieux sous les regards curieux de quelques serviteurs et garçons d’étable. À quelques reprises, des chevaliers étaient venus assister aux charges plutôt maladroites de ce géant vêtu comme un vulgaire piéton. On s’amusa ferme à ses dépens. Ce ne fut qu’à la fin de ce deuxième jour qu’il parvint à attraper un anneau de fer avec le bout de sa lance. Il allait lui falloir tenir trois lances sur son cheval et affronter un adversaire mobile qui, lui aussi, allait le frapper.
— Celui qui affrontera en lice pareil incompétent en sera sûrement humilié, dit l’un des spectateurs indésirables. Je me demande comment il a bien pu acquérir ce cheval magnifique.
L’homme courbaturé pansa sa monture sans se soucier d’eux ni de leurs remarques désobligeantes. Ils se turent et admirèrent, fascinés, la réserve mutuelle de la bête et de son cavalier. Tonnerre semblait conscient du malaise de son maître et limitait avec une timidité presque humaine ses contacts physiques avec lui. Cela conférait à Louis une autorité indéfinissable, énigmatique.
Quelques jours plus tard, homme et monture paradèrent avec les autres concurrents en champ clos. Les plates des belles armures étaient ternies par des nuages mornes qui gardaient jalousement le soleil pour eux. Louis et Tonnerre ne pouvaient se douter à quel point leur austère sobriété les démarquait des panaches et bannières exubérantes des nobles lignées. L’absence d’enseigne avait d’ailleurs causé à Louis quelques ennuis. On lui avait fait savoir qu’il lui fallait un emblème. Par dérision, les juges avaient choisi pour lui des armes qui n’étaient pas conformes aux règles sophistiquées de l’héraldique. Ils ne se donnèrent même pas la peine d’utiliser convenablement les couleurs qui étaient réparties en deux catégories, émaux et métaux.
— De sable à la potence et à l’échelle de gueules, à la hache de gueules en chef. Rien ne saurait mieux convenir (18) .
Louis avait tout accepté sans discuter et faisait à présent scandale, semant la discorde dans les hourds* qui entouraient la lice, en caracolant avec dignité et en portant son écu tout neuf en chantel*.
Un peu plus tôt ce matin-là, chaque combattant s’était présenté dans une salle où l’on avait enregistré son nom. Un écu de bois portant les armes de chacun avait été identifié et suspendu à un mur. Cela visait autant à démasquer les usurpateurs qu’à simplifier les choses à ceux qui allaient avoir l’honneur de choisir leurs adversaires.
Les joutes allaient commencer avec l’élimination des jeunes gens, fils de nobles ou écuyers inexpérimentés qui en étaient à leurs premières armes. Ils avaient tous entre quinze et dix-huit ans. L’écu noir et rouge de Louis, qui en avait presque vingt-six, avait été suspendu parmi les leurs.
Celui qui se présenta au héraut d’armes portait une armure dont les plates avaient été si soigneusement astiquées qu’elles brillaient comme de l’argenterie et arrivaient à faire oublier leur rareté qui ne couvrait pas suffisamment les mailles au goût de leur propriétaire. Il avisa les écus de bois et ricana méchamment. Plus tard, il allait sans doute rencontrer d’autres boucliers noirs comme celui-là, portés par des aventuriers en quête d’argent ou d’honneur… ou des deux à la fois. Mais celui-là était taché de rouge, le rouge du sang de son oncle par alliance.
Avant que quiconque pût l’en empêcher, le jeune homme décrocha l’écu noir d’un furieux coup d’épée et mit le pied dessus.
— Du calme, messire. Nous avons compris. Ménagez donc votre vaillance pour celui à qui
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