Le mariage de la licorne
d’Asnières. Sa face de furet était tordue de haine jalouse et il était facile de deviner pourquoi : le jeune homme n’avait pas siégé à la table d’honneur, lui. Et aucune jolie pucelle rougissante n’avait gloussé ni cherché à l’intercepter pour attirer son attention. Pas même sa promise.
Les deux hommes s’affrontèrent un instant en silence afin de s’étudier l’un l’autre. Les choses se présentaient plutôt mal. Le jeune noble n’avait pas planifié de se retrouver devant un adversaire plus sobre que lui et prêt à riposter. En général, les bourreaux ne savaient pas se battre. Ils étaient aussi mal dégrossis que leurs armes. Il persifla :
— Il t’est aisé, sale couard, d’abattre un homme lorsqu’on le jette à genoux devant toi et qu’on l’oblige à présenter sa nuque sous le fer de ta hache. Voyons un peu si tu sauras ferrailler* pour de vrai sans pisser dans ton froc !
Louis jeta un coup d’œil soupçonneux en direction d’Isabeau. « Le monstre ! Il a tout saisi, il a deviné que Philippe et moi sommes de mèche », se dit-elle. Il lui fallait trouver autre chose, et vite.
Louis évitait de dilapider sa vigilance en répliques futiles. Il se contentait de se tenir prêt à parer, son épée brandie en diagonale devant sa poitrine. Il la tenait d’une seule main. D’Asnières interpréta ce geste comme une manœuvre d’intimidation, la lourde épée de bourreau étant peu maniable. Mais l’hésitation du nobliau se prolongeait : cela ne jouait pas en sa faveur. Isabeau prit donc la parole, un sourire narquois aux lèvres :
— Quelle admirable patience que la vôtre, maître Baillehache ! Vous laisserez-vous donc injurier de la sorte sans réagir ?
— Je ne me querelle jamais avec mes clients.
— Ah ! le fils de pute, rugit d’Asnières.
Fougueux, il s’élança. Leurs lames s’entrechoquèrent violemment. Le jeune homme était un écuyer bien entraîné au métier des armes et il avait atteint l’âge où il pouvait envisager de gagner ses éperons. Cela contribuait à rendre plus belliqueux encore ce futur chevalier qui rêvait depuis toujours de se démarquer par quelque action d’éclat. La seule chose qui lui manquait, c’était l’expérience du champ de bataille. Louis, en revanche, détenait cette expérience. Il parait coup sur coup avec une adresse peu compatible avec sa condition de manant. Taillades et estocades, aussi bien rendues qu’elles fussent par son adversaire, ne lui causèrent aucun dommage. Il les neutralisait toutes comme s’il n’était concerné en rien dans ce face-à-face. On ne pouvait lire ni colère ni peur sur ses traits. Cela plongea le jeune homme dans une angoisse glacée. Rien ne se passait comme prévu.
En aucun moment le bourreau ne passa à l’offensive, sauf à la toute dernière seconde du combat, celle-là même qu’il avait guettée depuis le début de l’engagement, une seconde de fatigue ou d’inattention. D’Asnières sut qu’il avait commis une erreur avant même que le plat du damas* ne s’abatte sur son poignet. En cette seule seconde il se retrouva désarmé, l’épée du bourreau pointée sur la gorge. Le visage de Louis n’exprimait toujours rien. D’Asnières n’eut d’autre choix que de lever les mains en signe de reddition. Isabeau, soudain, eut très peur. Elle fit un pas dans leur direction pour arrêter le geste fatal qu’elle appréhendait.
— N’avancez pas, dame, dit Louis sans la regarder. Elle s’arrêta. Louis dit à d’Asnières :
— Faites-moi vos excuses.
— Va au diable !
Il était déjà suffisamment humiliant pour le jeune homme d’avoir été vaincu par un manant. Le picot de la lame se déplaça en lui effleurant la gorge pour percer la peau de façon inoffensive, entre les deux jugulaires. Son visage vira au gris et sa tante retint son souffle.
— Je regrette, mais il ne fallait pas traiter ma mère de pute. J’attends, messire, dit Louis.
— Vas-y, fais-lui tes excuses, dit Isabeau, d’une voix qu’elle avait voulue calme.
— Plutôt mourir !
— Au nom du Christ, ceci n’est pas un jeu, Philippe. Il va le faire, je l’en sais capable.
— Mais bien sûr que j’en suis capable, dit Louis en déplaçant de nouveau légèrement sa lame pour en poser délicatement le fil contre l’une des jugulaires du vaincu. C’est plus facile que l’on ne croit, de tuer un homme. Comme ça. Un tout petit geste et hop,
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