Le mariage de la licorne
qu’il fût. Coquette, elle lui tendit une main menue et lui sourit. L’homme hésita avant de la prendre du bout de ses doigts rudes et de s’incliner pour permettre à ses lèvres minces d’en effleurer la peau soyeuse.
— Oh, cela chatouille, fit-elle en échappant un rire adorable.
— Merci de m’accueillir, parvint-il à dire.
— Vous êtes bien grand ! Il vous faudra faire attention de ne pas décrocher mes guirlandes qui sont là-bas. Quel âge avez-vous ?
— Jehanne ! Ce sont des choses qui ne se demandent pas, dit Margot, indignée.
S’adressant au bourreau, elle poursuivit :
— Veuillez l’excuser, maître. Vous comprenez, elle est bien jeunette et…
— Ça ne fait rien. J’ai vingt-six ans, damoiselle.
— Oh, c’est très vieux…
— Jehanne !
— Quoi ? C’est vrai. Moi, j’ai sept ans. Cela signifie que nous avons dix-neuf ans de différence. C’est beaucoup, mais Margot m’a dit que les choses se passent ainsi chez les nobles.
Elle s’approcha de lui. Il ne bougea pas et n’eut pas le temps de répondre. Jehanne leva les yeux et demanda encore :
— Baillehache, c’est un bien drôle de nom. Est-ce que cela veut dire que je vais m’appeler Jehanne Baillehache si je me marie avec vous ?
— Si ? intervint Margot.
— Quel est votre prénom ? demanda la fillette qui ignorait sciemment la domestique.
— Louis.
Le colosse tripotait le bouquet, ne sachant trop que faire de ses grandes mains. Il devait baisser les yeux pour regarder cette petite fiancée au visage de lutin, qui dit :
— Puis-je vous appeler Louis tout de suite ? Cette fois, Margot n’y tint plus :
— Miséricorde ! Ça suffit, Jehanne. Notre hôte est sûrement fatigué. Désirez-vous aller vous rafraîchir un brin avant le souper, maître ?
— S’il vous plaît, dit Louis avec reconnaissance.
Il avait grande envie d’un bain, car il sentait le cheval ; son floternel* en tiretaine et ses habits noirs étaient poussiéreux.
— Pourquoi vous appelle-t-on maître et non pas monseigneur ou messire, comme les autres nobles ? Oh ! Là, le chaton que je cherchais.
Elle alla ramasser sous la table une minuscule bête égarée dont la queue courte et effrontée pointait presque le dessus de sa tête rayée.
— Mon enfant, ne vous avais-je pas dit que je ne voulais pas voir de ça dans la maison ? demanda Margot.
— Si, mais je ne retrouvais plus Michou. Il se sera sans doute réfugié dans mon panier à repriser.
Elle planta un baiser sur la petite truffe humide du chaton et dit à Louis :
— À tout à l’heure. Je m’en vais jouer à la tour avec Michou et Sam.
— Non, Jehanne, revenez… oh et puis zut…
Margot secoua la tête avec découragement : l’enfant était déjà sortie à la course.
Sam l’attendait. On eût dit qu’elle s’en était plus ou moins consciemment doutée. Les jambes ballantes et la mine boudeuse, il était assis sur une partie de l’ancien chemin de ronde qui avait résisté.
— Tu l’as vu ? demanda la fillette.
Elle grimpa dans l’échelle et alla s’asseoir à ses côtés. Elle fourra le chaton sous la chemise du gamin.
— Oui, je l’ai vu. Je ne l’aime pas.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas. Il est mauvais. Il a l’air d’un diable, avec des yeux qui ressemblent à des escarboucles*. En plus, à son âge, ça pourrait être ton père. Heureusement qu’il ne l’est pas.
— Moi, je le trouve gentil, même s’il me fait un peu peur. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi grand.
— De quel droit vient-il me voler ma femme, ce diable géant ? Tout cela sous prétexte qu’il était l’ami du roi. De plus, Sam en voulait à Louis de posséder un cheval trop magnifique pour lui. Les méchants ne méritaient pas d’aussi beaux destriers. L’amertume rongeait le cœur du garçon. Il jeta à Jehanne un regard en coin, avant de remarquer :
— Tu es trop jeune pour te marier.
— Sûrement, mais toi aussi.
— Tu ne lui as encore rien dit, n’est-ce pas ?
— Attention au chaton, il veut sauter en bas de l’aleoir*.
Sam cueillit la petite bête aventureuse que sa mère réclamait en creusant dans le tas de foin. La fillette répondit :
— Je n’ai pas pu. En plus, Margot était là. Je pense qu’elle ne nous prend pas au sérieux, tu sais.
— Il le faudra bien un jour. Ou alors, c’est que ce bonhomme te plaît. Baillehache. Un nom de forestier !
Son ton
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