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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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évoquer celles d’un bûcheron. Il dit finalement :
    — Je vous crois. Qu’êtes-vous au juste ? Un ange déchu ?
    Le métayer ne cilla pas sous le soufflet. Blandine retint son souffle. Même la petite Jehanne semblait consciente de l’insolence du vieillard et avait cessé de manger.
    — Comment oses-tu, vieux mécréant ? dit Margot.
    — Je ne dois rien à personne. Les Escots* appartiennent à leur clan, pas à un maître. Les Normands aussi sont libres (29) .
    — À propos, il n’y a pas de Normands ici, dit Blandine en exagérant son accent du Midi qui n’en avait nul besoin.
    Aedan continua comme si l’interruption n’avait pas eu lieu :
    — Si je suis venu vivre ici après le naufrage, c’est parce que le maître était loin.
    C’était la vérité : le père d’Arnaud, Raymond III, qui avait possédé le domaine avant lui, n’y avait jamais mis les pieds.
    — Ferme-moi cette porte, tu veux bien ? dit Margot.
    — Le maître n’est plus loin, dit Louis calmement.
    Margot oublia Aedan et la porte demeurée ouverte. Quant au vieillard, il n’entendit pas l’ordre. Louis prit le temps de mâcher et d’avaler une autre bouchée, avant de dire :
    — Pour répondre à ta question, l’Escot : déchu, il se peut que je le sois. Mais ai-je l’air d’un ange ?
    Jehanne se souvint alors d’une image de sa prime enfance encore toute proche : le père Lionel qui lui tarait les omoplates d’un air incrédule et qui avouait ne pas comprendre pourquoi ses ailes ne poussaient pas.
    — Pas du tout, dit-elle en riant, soulagée qu’il n’ait pas pris la chose trop mal. L’ange, c’est moi !
    — C’est discutable, dit le vieil Aedan, dont les yeux bleus brillèrent malicieusement.
    — On peut voir si vous êtes un ange, dit encore l’enfant.
    Elle se leva sans aucun égard pour le protocole et se dirigea spontanément vers Louis. Elle leva la main vers l’une de ses épaules. Le métayer eut un mouvement de recul qui n’échappa à personne. La main de Jehanne se retrouva coincée entre l’omoplate du géant et le dossier sculpté de sa chaise.
    — Ça suffit, Jehanne ! dit Margot, vaguement inquiète. Retournez à votre souper.
    La fillette contrite obéit avec une docilité inhabituelle. Décidément, les grandes personnes étaient bien compliquées. Elle n’avait rien vu d’inconvenant à son petit jeu. Sam l’eût compris, lui.
    Une curieuse attente s’installa, et Margot toussa dans son poing fermé en regardant Aedan. Ce dernier, d’abord surpris, parut soudain se souvenir de quelque chose et marmonna :
    — Excusez-moi un moment. J’ai oublié… hum… de fermer la porte de la grange.
    Louis donna son accord d’un bref signe de tête et fit semblant de ne pas remarquer que tout le monde, à l’exception de Jehanne, suivait le vieil homme. Il fut tenté de demander combien il fallait de gens pour fermer une porte de grange et pourquoi ils devaient pour cela passer par la cuisine et l’aile des serviteurs, mais il se ravisa. Cela n’avait aucune importance.
    Les serviteurs se regroupèrent dans l’aile plus fraîche.
    — Pauvre Jeannette, murmura Blandine. C’est une brute qu’ils lui donnent en mariage.
    — J’aime pas sa tête. Une vraie gueule de traîne-potence. Par les couilles desséchées d’un moine, nous n’avons pas besoin de ce culvert* ici.
    Aedan cracha par terre et écrasa sa salive avec la pointe de sa heuse rapiécée.
    — Hé ! là, un peu de tenue, protesta Margot.
    — Nous autres, Escots*, valons mieux que cette race sans noblesse qu’on désigne du nom de Français. Nos ancêtres auraient dû la vaincre, la France, au lieu de s’allier à elle. Ce n’est pas un peuple, c’est un mélange abâtardi. Voyez comme la petite Angleterre la domine déjà, alors que nous, nous sommes parvenus à l’écraser à Bannockburn (30) . Ces Franklins* ne savent démontrer que de la bravade qu’ils font passer pour du courage.
    — Tais-toi donc un peu, vieil insensé, dit Margot. Il va t’entendre. Maintenant, sortez. Vous aussi, Hubert et Blandine, allez, ouste. J’ai des recommandations à faire à Thierry et à Toinot.
    — Ouais, bonne idée, répliqua Toinot en faisant craquer ses jointures. Même si on se doute un peu de quoi il s’agit. Ne t’en fais pas, je saurai m’y prendre avec lui s’il tente quoi que ce soit.
    — Chut, prévint Margot.
    Elle attendit que les autres fussent sortis, referma la porte

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