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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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sombre de l’homme de tête dansait au vent comme la crinière noire de sa monture. La bête encensait avec dignité pour manifester sa joie d’avoir enfin laissé derrière elle les balades sans histoire dans les rues de Caen.
    Une heure avait passé depuis qu’ils avaient quitté le tracé de la grand-route venant de la ville, avec sa rassurante parure d’ormeaux tortus. Ils durent bientôt se résoudre à traverser une étendue molle parsemée de joncs rigides et de marsaults avant de trouver un endroit où ils pouvaient s’arrêter pour manger.
    L’homme de tête s’assit sur un tronc à peu près sec et sortit du pain de sa besace. Son compagnon l’imita, tandis que les deux chevaux s’éloignaient un peu pour brouter l’herbe tardive d’un coin de prairie en friche.
    Thierry avait été dépêché la veille pour aller rejoindre Louis à Caen, plus précisément à une auberge en bordure de la ville. Telles avaient été les dernières instructions que Jehanne avait reçues et qui avaient été rédigées par les soins d’un écrivain public.
    Après leur brève pause, ils se remirent en route. Louis suivit des yeux une volée de moineaux qui dessinait en l’air un tracé complexe avant de se poser un peu plus loin, dans un sillon plus prometteur. Il descendit de cheval et marcha jusqu’à un champ de blé. Les céréales dorées, intactes, y ondulaient paisiblement. Au bout d’un sentier creusé d’ornières, il put apercevoir les restes calcinés d’une chaumière. Sa main remonta le long d’une tige de blé pour en caresser l’épi de ce geste machinal de l’ancien boulanger cherchant d’instinct le contact avec l’élément nourricier. Ces céréales trop mûres étaient en train de se perdre : ce qui avait été épargné par les animaux allait sous peu disparaître dans les sillons à la moindre brise. Les doigts de Louis pressèrent l’épi qui s’égrena sans effort dans la paume de sa main. Il porta les quelques grains veloutés, encore sains, à sa bouche.
    — C’est l’œuvre des routiers de Robert Canolles (28) , expliqua Thierry.
    Tout en mâchant son blé sucré, Louis se remit en selle en s’aidant de l’étrier et regarda l’homme d’armes sans un mot. On ne pouvait deviner ce qu’il pensait. De son côté, Thierry ne pouvait détacher son regard de celui qui avait été la victime de son ancien maître, quelques années plus tôt, lors de la capture de Garin de Beaumont.
    — On y est presque, maître. Le manoir se trouve juste là-haut, au bout du chemin, dit encore Thierry.
    Louis se tourna vers l’endroit que son compagnon de voyage lui désignait. Deux rangées de peupliers effilés frémissaient sous la brise, l’attendant de chaque côté de l’allée défoncée comme des serviteurs aimables mais un peu nerveux.
    — C’est bon, dit Louis.
    Tonnerre s’ébroua. On eût dit qu’il avait compris que leur voyage tirait à sa fin. Il avait hâte de recevoir une bonne ration de picotin et, tout comme les deux hommes, de passer une nuitée au sec entre des murs solides.
    « La voici donc, cette disgrâce que l’on m’offre comme un présent », songea Louis. En cet instant précis, alors qu’il trottait entre les arbres derrière lesquels s’étendaient une douzaine d’hectares de champs fertiles, il lui était presque aisé d’oublier la possible importance stratégique du domaine qui avait offert à Charles la solution idéale pour éloigner le bourreau devenu trop encombrant. Il lui était aussi aisé d’oublier que les grands de la Cour l’avaient cru mû par une ambition qu’il n’avait pas et que l’honneur du jeune monarque était désormais sauf : ce qu’on avait interprété comme une erreur de jugement de sa part était à présent transformé en décision raisonnable, et tout le monde y trouvait son compte. Le titre honorifique, équivalant à celui de baron, avait beau être trop généreusement attribué, il en coûtait si peu, désormais.
    Louis leva les yeux vers la fumée qui, au sortir d’une cheminée, simulait une retaille de brouillard. Il les abaissa sur le manoir lui-même. C’était une maison faite pour durer toujours. Ses murs épais semblaient surgir de terre, et son toit avait l’air solide. Derrière le logis s’étirait une aile délabrée faite de torchis ou de pisé qui, l’été, devait être envahie par le lierre. « Au moins, ça ne fait pas ventre* », songea-t-il avec satisfaction. C’était là

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