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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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précipitamment Jehanne, hilare et échevelée, vint rejoindre Louis en dansant à travers la maison avec sa corde à sauter qui frôlait dangereusement de trop nombreux obstacles.
    — Vous vous êtes fait mal ?
    — Non, mais qui a laissé traîner ça par terre ? C’est toi ? demanda-t-il en se redressant et en toisant Sam.
    Jehanne, soudain inquiète, s’assagit. Le gamin délaissa son instrument et se leva.
    — Ouais, dit-il avec un air de défi.
    Louis se retourna vers Aedan, qui se leva à son tour.
    — Fais-lui réparer l’étagère, ordonna Louis.
    — Avec joie, maître.
    Il ajouta, à l’adresse de Sam :
    — Viens là, petit vaurien. Crois-moi, tu t’en sors à bon compte, parce que moi je te tannerais le cuir.
    — Ce n’est pas moi qui l’ai brisée, cette étagère.
    — Contente-toi de faire ce qu’on te dit, petit, et ne réplique pas, dit Aedan.
    Louis songea à la raclée qu’il eût reçue de son père s’il avait, lui, osé s’adresser de la sorte à un adulte. De nouveau il se sentit grelotter sous les combles de la boulangerie, le nez bouché par du sang coagulé et le dos meurtri. Lui, le garçon indigne. Mais Sam n’était pas indigne. Aucun autre enfant que lui-même ne devait jamais l’être.
    — Bon à rien. Va travailler, dit une voix de jadis qui fit sursauter Louis.
    — Maître, est-ce que ça va ? demanda l’Escot qui s’approchait, vaguement préoccupé par le regard trop brillant que l’homme rivait sur son petit-fils. Vous ne vous êtes pas cogné trop fort, au moins ?
    — Si, si ! Ça va. J’avais la tête ailleurs, dit Louis d’une voix enrouée.
    Il se détourna et sortit en vitesse dans la cour pelleter une allée qui n’en avait nullement besoin.
    La bouche du gamin se fendit en un large sourire et il souffla à Jehanne :
    — Eh, tu as vu sa main ? Elle s’est mise à trembloter comme celle d’une vieille mémé.

Chapitre V
La route du pèlerin
    Novembre 1359
    Le ciel sans horizon avait secoué sa mante de ses derniers oiseaux retardataires. En prêtant l’oreille, on pouvait percevoir les sons ténus que produisait chacun des premiers flocons pelucheux qui se choisissaient un sillon pelé pour s’insérer dans les rares touffes de chaume, parmi lesquelles se dressait parfois, avec obstination, l’échine malingre de quelques tiges. Mais, très bientôt, on n’entendit plus rien : la neige engloba tout. « Neige qui reste en attend d’autre », disaient les vieux. Ainsi l’hiver s’installa-t-il pour de bon dans un paysage cistercien dépouillé de toute créature vivante, exception faite des hommes qu’il dédaignait peut-être.
    La température se mit à chuter vers le milieu du troisième jour. Le ciel lavé de frais se montra brièvement. Il s’était cousu de nuages nacrés aux contours flous comme on ne pouvait en voir qu’en cette saison. Le vent se leva et le cacha de nouveau à la vue du monde. On eût dit que la neige, grisée par le succès de son entrée en scène, avait de son propre chef pris l’initiative d’offrir une seconde représentation. Un blizzard se préparait.
    Dans une allée qui n’était plus, des traces de pas se déroulaient, s’emmêlaient comme les grains d’un interminable chapelet. Une main noueuse, rouge de froid et d’engelures, enveloppée de bandelettes sales, serra davantage le bourdon qui soutenait le marcheur dans son avancée pénible. Sa cloche* de velours décorée d’un insigne en forme de coquillage était décolorée, en lambeaux ; ses sandales avaient été déformées par les bouts d’étoffe qu’il s’était enroulés autour des pieds. Il tenta de retrousser son manteau trop grand pour éviter de trébucher dedans et ajusta pour une millième fois la courroie de sa besace. Débordant du capuchon élimé, on pouvait discerner un profil de patriarche et une barbe grise en jachère à laquelle s’agrippaient des flocons insistants. Le marcheur s’arrêta pour regarder autour de lui. Le grand chien tacheté qui le suivait à distance respectueuse, tête basse, en profita pour s’allonger. Une longue mèche de cheveux sales retomba sur le front de l’homme. Il n’y avait rien en vue.
    L’homme ne réfléchissait plus que par son corps. Il était devenu un assemblage de nerfs et de muscles douloureux. Quel est le pas qui décide de tout ? Celui qui dit : « Arrête, c’est assez », ou bien celui qui dit : « Tiens bon, on y est presque » ? Vient

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