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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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réchauffé et serré le cœur. Il avait soupiré en disant, comme pour lui-même :
    —  By God, she’s way too sweet for that man (33) .
    Les raisonnements de la vie pouvaient décidément être difficiles à suivre. Peut-être Jehanne était-elle, après tout, le genre de dentelle qu’il fallait pour donner au meuble trop austère un aspect plus chaleureux ?
    Lorsque Louis rentra, tard le dixième soir, tout le monde était déjà au lit. Il grappilla de quoi grignoter afin de ne déranger personne. Il alla s’asseoir avec un demi-cruchon de vin blanc au coin du feu qu’il tisonna. Un petit craquement dans l’escalier le fit se retourner. C’était Jehanne. L’enfant avait espionné son retour depuis sa cachette derrière la rampe. Elle s’approcha à pas de souris, s’efforçant avec exagération de ne pas faire de bruit. Elle portait une robe de nuit rose à boutons de fleurs brodés avec du fil vert tendre. C’était l’un des vêtements neufs que Margot lui avait cousus, car la gouvernante jugeait que l’enfant en possédait trop peu à son goût pour une personne de haut lignage. Elle trouvait qu’il fallait éviter qu’elle eût l’air trop pauvre devant son prétendant, même si c’était futile puisque ce dernier était obligé d’aller travailler aux champs comme un paysan.
    Une main toute menue se posa sur le genou de Louis. Il sursauta. Jehanne le regardait d’un air angoissé, sans rien dire. C’était extrêmement désagréable. Il parvint enfin à demander :
    — Qu… qu’y a-t-il ?
    — Je n’arrive plus à dormir. J’ai fait un mauvais rêve.
    — Ah.
    — Puis-je rester avec vous ?
    — C’est que… c’est comme vous voulez. Mais je n’y suis pas pour longtemps.
    Louis serra les deux branches en acier d’un casse-noisettes. Une grosse noix, invisible dans sa main, céda avec un petit toc assourdi. Il préleva l’amande presque intacte dans sa paume et la croqua. L’enfant dit :
    — Sam dit que vous passez votre temps à travailler parce que vous ne savez rien faire d’autre.
    — Sam dit ça, hein ?
    — Oui. Il a raison. Les grandes personnes n’ont jamais le temps de s’amuser.
    — J’ai été envoyé ici pour travailler. Alors, je travaille.
    — Moi, je déteste passer toute une journée à broder. C’est ennuyeux et ça me donne mal partout. Il y a une chose que j’aimerais vous demander. C’est très, très important.
    Louis plaça une nouvelle noix entre les dents du casse-noisettes.
    — Faites donc, dit-il.
    Jehanne demanda :
    — Voulez-vous ne pas seulement travailler et être mon ami ?
    La noix craqua en faisant jaillir partout de petits éclats bruns dont certains saupoudrèrent les genoux de l’homme. Cette question avait beau être toute simple à poser, la réponse, elle, n’était pas forcément facile à exprimer. Jehanne n’attendit pas et poursuivit :
    — C’est vrai que vous n’avez pas d’amis ?
    Pour elle comme pour tout enfant, rien ne pouvait être pire que de n’avoir pas d’amis, que d’être seul au monde.
    — Euh…, fit Louis.
    — Pas un seul ? Parce que moi, vous savez, je veux être votre amie.
    Cet adulte qui ne savait jamais quoi dire attirait la sympathie de l’enfant. Jehanne avait envie de le prendre sous son aile avec cette affection qu’on ne pouvait éprouver que pour un être imparfait.
    Elle grimpa à côté de lui et s’inséra entre lui et le bras du fauteuil. Elle posa la tête contre son bras et caressa le bougran* de sa tunique. Elle planta un auriculaire minuscule dans l’accroc qu’elle y découvrit.
    — Vous portez de drôles d’habits. On dirait presque ceux d’un moine. Pourquoi sont-ils toujours tout noirs ? C’est triste, le noir.
    — Parce que c’est comme ça. Venez. Il se fait tard.
    — Ce n’est pas grave, puisque je n’ai plus sommeil. Êtes-vous le bonhomme sept heures* ?
    — Allez, venez. Il faut vous mettre au pieu, dit Louis un peu rudement.
    Il se leva et se pencha au-dessus d’elle en se demandant par où la prendre pour la reconduire à sa chambre. Car Jehanne refusait de bouger. Il serra maladroitement son petit poignet pour lui faire quitter le fauteuil et, tellement il craignait de le briser, le lâcha dès qu’elle fut debout. Enfin, il la poussa doucement devant lui. Elle finit par abdiquer. Enfin, presque :
    — Bon, d’accord, j’y vais. Mais à une condition : que vous veniez me lire une histoire.
    Avant qu’il eût pu

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