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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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endolories entourèrent le récipient avec maladresse, et le voyageur but à petites gorgées un peu du vin que la cuisson avait rendu foncé et plus sucré. Louis le regarda faire un moment avant de boire lui-même. Lorsqu’il déposa précautionneusement le bol sur ses genoux, le visiteur leva les yeux vers Louis et demanda :
    — Vous m’avez tout de suite reconnu, n’est-ce pas ? Louis acquiesça et répondit simplement :
    — Le bibliothécaire.
    Lionel sourit.
    — J’ai plaisance de vous revoir, frère Louis qui ne savait pas ses Pater.
    Louis n’eut aucune réaction. Le pèlerin se passa la langue sur les lèvres, avant de demander :
    — Dois-je vraiment tout dire ?
    — C’est préférable, oui.
    — Je m’en doutais. Mais, vous savez, je crains fort de vous embêter. Ce n’est pas une très bonne histoire.
    — Aucune importance, en autant qu’elle soit véridique.
    — Pour ça, elle l’est.
    Lionel soupira et regarda pensivement le contenu de son bol qui fumait encore.
    — Je viens à vous de ma propre initiative, maître, après un long pèlerinage qui m’a mené, après une halte de quelques jours à Estella (36) , jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle.
    Sur ce, il se pencha pour prendre dans sa besace raidie un fragile coquillage blanc qu’il avait ramassé sur le rivage en tant que preuve. Il le montra à Louis. Ces coquilles minces et rainurées, délicates faïences de l’onde, étaient devenues la marque distinctive des pèlerins de Compostelle. Le visiteur dit :
    — J’ai laissé là-bas comme ex-voto* quelque chose qui vous appartient. Des chaînes volées auxquelles était attaché Firmin avant de quitter son cachot pour l’exécution. Je les ai portées en tant que cilice. Je vous en demande pardon.
    — Ce n’est rien. J’en ai d’autres.
    — Je sais. Toujours est-il que j’ai porté celles-là tout au long de mon voyage. Il vous faut savoir que je n’ai pas quitté les ordres. J’appartiens toujours à la communauté de Saint-Germain-des-Prés.
    — Et vous n’êtes pas muet, dit Louis hors de propos.
    — Non. Il s’agissait d’un vœu que j’ai depuis rompu.
    — C’est regrettable.
    — Je suis bien de votre avis. Est-ce mon chien qui a aboyé tout à l’heure ?
    — C’est lui qui est venu me chercher. Qui vous envoie ?
    — Comme c’est étrange. Depuis que je l’ai, Guinefort n’a jamais aboyé. Juste retour des choses.
    — Guinefort ?
    — Eh oui, je lui ai donné le nom du saint lévrier, protecteur de la progéniture humaine (37) .
    Le moine but son vin. Il s’étira pour poser son bol vide sur la table et s’essuya la bouche de sa manche. Il soupira.
    — Je suis un vieil homme, désormais. Toute ma vie, je l’ai passée à l’abri derrière les murs d’un monastère, jusqu’au jour où j’ai dû accompagner quelqu’un à l’échafaud…
    — Est-ce pour ça que vous êtes venu ? demanda Louis brusquement.
    — S’il vous plaît, ne m’interrompez pas. J’ai bien conscience que je mets beaucoup de temps avant d’en venir au fait, mais soyez assuré que j’y viens. Vous étiez dûment prévenu que mon histoire vous embêterait.
    — Bon, bon, ça va, allez-y, dit Louis qui se resservit du vin sans songer à en offrir.
    Il en avala comme s’il était à peine tiède et non pas brûlant. Le moine reprit :
    — Ce jour-là, le jour de l’exécution de Firmin, j’ai découvert que ce qu’on avait pris pour du mysticisme chez moi n’était en fait que de la lâcheté. Je suis un couard, maître, et le Tout-Puissant s’en est aperçu. J’ai fait mon temps là-bas, à l’abbaye.
    Cette dernière phrase avait été dite sur un ton mélancolique. Le silence tomba entre eux, seulement ponctué par les craquements du feu. Louis l’invita à poursuivre d’un signe de tête. Cela fit sourire Lionel, qui dit :
    — Vous feriez un excellent confesseur.
    — J’en ai l’habitude. Continuez.
    — Même mon pèlerinage fut un mensonge. J’y ai cherché la mort. Je l’ai espérée, commettant une imprudence après l’autre en toute impunité. Car le Créateur ne voulait pas de moi. Il avait d’autres projets dont j’ignorais la nature. Je suis revenu sur mes pas et je me suis mis à errer, au lieu de simplement retourner à mon abbaye comme j’eusse dû le faire. Maintes fois on m’a pris pour un moine gyrovague*. Cela a fait en sorte que je me suis mis à redouter la société des autres, et

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