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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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un moment où le choix s’impose de lui-même en dépit de la volonté, après que des milliers de pas eurent été égrenés.
    Quelque chose tomba aux pieds de l’homme. Cela ressemblait à une mince retaille de bronze dentelé. Il leva les yeux. Près de là, planté un peu en retrait de la rangée de peupliers, un jeune chêne geignait sous les assauts du vent. Une autre feuille pendue à sa branchette frémissait, dérisoire. Tout comme lui.
    C’est là qu’il l’aperçut, l’espace d’une seconde. Une silhouette imprécise dans la tourmente. Elle ne grelottait pas sous les rafales. Elle était solidement arrimée, immobile dans la neige comme un roc. Le marcheur joignit avec peine les mains sur son bourdon. Des flocons vinrent se prendre dans ses cils et simulèrent des larmes. Alors que son cœur s’apaisait, l’appel en lui s’intensifiait, suivait le vent et s’élevait parmi les volutes de neige, tentant d’atteindre pour lui cette silhouette qui ne bougeait pas. Qui n’entendait pas.
    Il recommença à marcher. Pas à pas. Lentement. Il lui fallait à tout prix quitter l’allée pour rejoindre la silhouette. Soudain, sa jambe s’enfonça dans un vorace tapis de neige. « Arrête, c’est assez », lui ordonnèrent ses pas. Il leur obéit et vacilla avant de s’écrouler sans bruit. La gourde calebasse* qui était accrochée à son bâton s’enfonça près de lui dans la neige qui lui était étrangère. Le chien demeura là où il se trouvait.
    Dormir un peu. Juste un peu. Dès cet instant où le marcheur cessa de lutter, la morsure du vent s’adoucit pour céder sa place à la caresse pétillante de la neige et à une bienheureuse torpeur. Il s’endormit. L’aboiement d’un chien se fit entendre quelque part vers sa droite. Ce ne pouvait être le sien. Il remarqua que le vent était devenu plus âpre. C’était sans importance : il ne souffrait plus. Mourir de froid pouvait être étrangement miséricordieux une fois que l’on acceptait de renoncer à combattre.
    Le chien aboya une nouvelle fois, tout près. Puis le silence revint. L’homme se rendormit. Il fit un rêve. La grande silhouette qui se dessinait dans la pénombre s’agitait et appelait, mais il n’entendait pas. Comme lui, elle n’avait de voix que le vent.
    Le soleil voilé de nacre s’éteignit. On eût dit qu’un nuage trop pressé l’avait soufflé. Le marcheur sentit une main qui l’empoigna par ses vêtements et le retourna brusquement sur le dos avant de lui administrer de petites tapes sur les joues.
    — Réveillez-vous, dit une voix inconnue.
    Le voyageur, qui avait toujours la tête tournée vers le champ, rouvrit faiblement les yeux. La silhouette qu’il y avait aperçue ne s’y trouvait plus. Il put voir les dernières traces de ses propres pas. Elles disparaissaient dans un enchevêtrement de gestes pénibles jusqu’à son chien qui s’était assis aux côtés de celui qui lui cachait le soleil. Lentement, il leva les yeux vers le nouveau venu. C’était lui.
    —  Deo gratias (34) , dit le voyageur.
    Des larmes coulèrent dans sa barbe pleine de petits glaçons. Louis l’aida à s’asseoir.
    — Bougez. Ne vous rendormez pas, ordonna le géant qui le contraignit à patauger dans la neige en le soutenant par les aisselles afin de l’aider à se relever.
    — Ça ne veut plus, dit l’homme d’une voix pâteuse tandis que Louis l’épaulait solidement.
    — Pouvez-vous marcher ?
    — De cette façon, je puis m’y essayer.
    Ils s’ébranlèrent. Louis respecta la claudication de l’homme qui avançait en s’aidant du bourdon serré dans sa main libre. Son sauveteur s’était occupé de ramasser la gourde et la besace couverte de neige. Le grand chien tacheté les suivit tête basse. L’homme murmura, d’une voix tout juste audible :
    — Le chemin qui mène au ciel est déjà le ciel (35) .
    — Un coquillard* mal en point, annonça Louis en entrant avec l’homme dans la maison bien chaude.
    — Doux Jésus ! débarrassez-vous, s’exclama la gouvernante qui leur tournait autour comme une grosse poule anxieuse. Si c’est pas malheureux de voyager par un temps pareil !
    Louis lui donna des instructions :
    — J’ai besoin d’une bassine pour ses pieds. Pas de neige, mais de l’eau tiède. Apporte du vin chaud et trouve-lui des vêtements secs. Fais vite.
    — Tout de suite, maître.
    Il guida son hôte jusqu’à son grand fauteuil que Margot s’était hâtée

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