Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
une fontaine de vin. Moi, je préférerais quand même voir un ruisseau de dragées. J’aime bien les dragées et les choses sucrées, pas vous ? Dites, est-ce que vous nous ferez encore de ces beignets au miel ?
    Le mauvais pain était fini depuis longtemps. Mais il sut sans l’ombre d’un doute, avant même de répondre à l’enfant enjôleuse aux prunelles lumineuses, qu’il allait utiliser de la bonne farine laborieusement moulue pour lui confectionner de nouveaux beignets tendres.
    — Sûrement, oui.
    Il recula. Quelque chose l’inquiétait. Il ne savait pas quoi. Mais cela venait d’elle et c’était dangereux. Il n’avait éprouvé rien de tel en compagnie de Desdémone ou d’Isabeau.
    « Laisse-la approcher. Étudie-la. Foudroie-la. C’est ce qui a toujours fonctionné », se dit-il.
    Il entraîna Jehanne vers les masures d’Aspremont, ce caillot insignifiant de civilisation qu’il avait mandat de faire prospérer sous l’œil vigilant d’une minuscule église sans âge, dont le clocher faisait également office de beffroi, et sous la protection d’un simple postil*. Personne n’était en vue. Les serfs avaient dû se terrer dans leur chaumière au centre de laquelle devait fumer un pauvre feu de branchages. Un crépuscule paresseux tombait de plus en plus tôt sur des toits réparés en hâte. Du bois trop vert avait été empilé sous des auvents. Au bout de l’unique avenue, une chèvre malingre bêlait dans son enclos à demi affaissé. Louis savait que rien de cela n’allait résister à l’hiver et que, s’il ne venait pas aider ces gens à s’installer convenablement, ils allaient tous crever de faim ou de froid avant la Chandeleur*.
    Ce fut très probablement la raison pour laquelle les habitants d’Hiscoutine ne virent pas le maître vaquer à quelque travail autour du domaine pendant près de dix jours. Il se levait tôt et partait de bon matin pour ne revenir qu’à la nuit tombée, fourbu, une esconse* à la main. Et même là, avant de souper et d’aller se coucher, il demandait un rapport de ce qui s’était fait pendant la journée. Il allait vérifier le blé et les noix qui avaient été récoltés, avec les dernières pommes sures qui avaient l’imprudence de s’attarder aux branches hautes, hors de la portée des animaux. Il faisait un inventaire du gibier chassé et des poissons attrapés. Il donnait ses instructions sur ce qui devait être séché, fumé ou salé et sur ce qu’on pouvait manger ce jour-là. Il surveillait avec un soin extrême ce qui menaçait de manquer dans le garde-manger afin, s’il pouvait se le permettre, d’en faire provision lors de sa prochaine visite en ville. Rien n’échappait à sa vigilance.
    Les villageois ne tardèrent pas à profiter des fruits de ce labeur. L’un des paysans étant malade, Louis préleva dans ses propres réserves un boisseau de blé qu’il apporta à la famille. Tout au long de ces dix jours d’absence, il envoya les autres aux champs et travailla avec eux. Il les aida à préparer leur maison, du moins sommairement, pour l’hiver. Le reste, dont il leur fit une énumération détaillée, allait devoir attendre au printemps. Il assura les six familles qu’il allait leur rendre visite plusieurs fois au cours de la saison froide et qu’elles pouvaient le contacter au manoir en cas d’urgence.
    Une sorte de magie opéra. Les gens se prirent à apprécier ce baronnet réservé qui, sans façons, venait partager avec eux la misère de leurs basses besognes.
    Jehanne aussi commençait à l’apprécier, au fur et à mesure qu’elle apprenait à le connaître. Louis lui manquait quand il n’était pas là. Dès le quatrième jour de son absence, elle s’était mise à errer d’une fenêtre à l’autre dans l’espoir de voir revenir la grande silhouette noire qui déjà lui était devenue familière. Sam en avait conçu une jalousie naissante : il expliqua à Jehanne que, si Louis ne revenait pas, c’était parce qu’il l’avait capturé pour en faire un épouvantail qu’il avait planté dans un champ. Jehanne ne lui avait plus parlé du reste de cette journée-là.
    Le sixième jour, Aedan avait ordonné à son petit-fils de cesser de bouder et d’occuper la fillette une fois que toutes leurs tâches allaient être terminées. Les deux enfants avaient fini par sortir pour aller faire un tour, bras dessus, bras dessous. Cette image naïve qu’ils lui avaient offerte lui avait à la fois

Weitere Kostenlose Bücher