Le mariage de la licorne
répondre, elle lui prit la main et l’entraîna dans sa petite chambre douillette qui se trouvait au rez-de-chaussée. Elle ralluma un bout de chandelle à son brasero*, ramassa un livre sur son coffre et le lui remit avant de se couler sous ses couvertures avec une pierre chaude. Louis prit place sur le coffre qui avait été poussé près du lit. Il ouvrit le livre. C’était un objet luxueux comme il en avait rarement vu ; les courts textes en étaient ornés de grandes et belles images très colorées. Jehanne s’assit et lui sourit alors qu’il commençait à tourner les pages. C’était une sorte de bestiaire composé sous forme de conte qui se déroulait par segments sous ses yeux grâce aux images. Il finit par remettre le livre à la fillette et admit :
— Je ne sais pas lire.
— Ce n’est pas grave. Moi, je sais. Voulez-vous que moi, je vous le lise ?
L’homme acquiesça. Elle plia les genoux et y appuya le livre ouvert à la première page. Elle se mit à lire avec grand soin, en suivant chaque ligne avec le bout de son doigt. Louis se pencha en avant et écouta. Il y était question d’une licorne éprise d’une manticore*.
Cette fable enfantine l’émut beaucoup.
Quelque chose de différent, de passionnant régnait dans l’air comme une magie. La fillette se coucha sur le côté. Elle tendit la main vers le ventre de Louis et caressa la boucle de sa ceinture rouge. Son petit index fit le tour du fermoir qui, attaché, était heureusement inoffensif. Ce geste délicat et naïf raffermit la décision que Louis venait de prendre.
*
Cela commença avec de petits riens. Avant les neiges, les enfants se mirent à trouver un peu partout dans des recoins inattendus de la maison et de la cour des jouets qu’ils ne se rappelaient pas avoir vus auparavant : une corde à sauter munie à chaque extrémité d’une poignée en bois poli, quelques galets soigneusement choisis, des osselets, six billes d’agate, une balle rapportée par un chat, un esteuf* qui n’avait visiblement jamais servi et deux cerceaux de fer dont on se servait pour fabriquer des tonneaux et qui faisaient des jouets très populaires.
Au début, nul n’eût pu soupçonner la provenance de ces objets anodins : les galets et les billes dataient peut-être d’avant les routiers, période de faste légendaire qui était inconnue d’eux ; le reste avait pu avoir été égaré par quelque enfant du village, même si cela eût été étonnant, vu leur pauvreté. Lorsqu’un soir Sam trouva un tambourin qui l’attendait sagement à côté de sa cornemuse, le doute ne fut plus permis. De son côté, Jehanne vit quelque chose de métallique briller au creux du tas de foin et découvrit une paire de cymbales.
— C’est maître Baillehache, j’en suis sûre, dit la fillette.
— Comment peux-tu le savoir ? demanda Sam.
— Je le sais, c’est tout.
— Ce gueux-là n’a pas une tête à faire des cadeaux. Moi, je pense qu’ils peuvent aussi bien venir de seanair* que de Margot. D’Hubert, de Thierry, même. Eux aussi vont parfois en ville. Par contre, ça m’étonnerait qu’ils viennent de Toinot. Il est bien trop bougon.
Margot, à tout le moins, n’y était pour rien. Elle désespérait de jamais arriver à faire de Jehanne une vraie demoiselle. Les prouesses dont l’enfant était la plus fière et qu’elle relatait à son prétendant attentif n’étaient pas de celles dont elle eût voulu voir l’enfant se vanter : Jehanne grimpait mieux aux arbres que Sam, elle courait plus vite que lui et était imbattable aux concours de marelle qui se disputaient avec les enfants du hameau. Hélas, elle crachait moins loin que le petit Écossais et il lui tardait de réussir aussi cet exploit.
Un matin, alors que la température avait confiné les jeux des deux enfants à l’intérieur, la patience de la gouvernante fut mise à rude épreuve. Tambourin et cymbales menaient grand tapage dans la pièce à vivre et quelques chatons clandestinement admis faisaient une sarabande avec la balle de cuir. Louis mit accidentellement le pied sur des billes oubliées qui détalèrent sous ses pieds et le firent presque tomber à la renverse. Il se retint à une étagère qui, malheureusement, n’était pas prévue pour supporter un poids de plus de cent kilos. Le géant en fut quitte pour s’accroupir dessous et se protéger la tête d’une averse de casseroles. Pris de panique, les chats s’éparpillèrent
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