Le médecin d'Ispahan
dit-il
lentement.
Le Barbier se
tourna légèrement sur son siège. Le regard chaleureux de ses yeux bleus
semblait en dire plus que sa bouche souriante.
« Parce
que je t'ai, mon garçon. »
6. LES BALLES DE COULEUR
Ils commencèrent à jongler et, dès le début, Rob se sentit incapable d'un tel
miracle.
– Tiens-toi
droit, mais détendu, les mains aux côtés. Elève les avant-bras parallèlement au
sol, les mains ouvertes vers le haut. Imagine que je pose sur tes paumes un
plateau d'œufs : il ne doit pas pencher du tout sinon les œufs glissent.
Quand on jongle, c'est la même chose : si tes bras ne restent pas à la
même hauteur, les balles tomberont. Tu as compris ?
– Oui,
Barbier, dit Rob, qui en avait mal au ventre.
– Forme une
coupe avec chaque main comme si tu voulais y boire. »
II posa la
balle rouge dans la main droite et la bleue dans la gauche.
« Lance-les
en l'air, comme le ferait un jongleur, mais les deux en même temps. »
Les balles
s'élevèrent au-dessus de la tête de Rob puis retombèrent par terre.
« Fais
attention. La balle rouge monte plus haut parce que tu as plus de force dans le
bras droit. Il faut donc apprendre à compenser cela en diminuant l'effort de ta
main droite au profit de la gauche. Et puis les balles montaient trop haut ;
un jongleur ne peut pas s'amuser à renverser la tête en arrière pour essayer de
voir en plein soleil où est partie sa balle. Elles ne doivent pas aller plus
loin que là, dit-il en lui tapotant le front. Alors, tu les suis sans bouger la
tête. » Il fronça les sourcils.
« Autre
chose : un jongleur ne lance pas sa balle, il la fait sauter. La
paume se redresse un instant, projetant la balle, tandis que le poignet donne
un coup bref et que l'avant-bras oblique légèrement vers le haut. Du coude à
l'épaule, les bras ne bougent pas. »
Il ramassa les
balles et les tendit à Rob.
A Hertford,
quand il eut dressé l'estrade, le garçon prit deux balles en bois et s'entraîna
à les faire sauter ; c'était moins difficile qu'il ne l'avait imaginé. Il
s'aperçut qu'en donnant au départ un mouvement tournant, il modifiait la
direction ; s'il attendait trop, la balle lui retombait sur la tête ou
l'épaule ; si la main était trop souple, la balle lui échappait. Mais il
s'appliqua et acquit bientôt le tour de main. Le Barbier parut satisfait de sa
démonstration, le soir, avant le dîner.
Le lendemain,
il arrêta la carriole à l'entrée du village de Luton et montra à Rob comment
faire croiser deux balles.
« Tu
évites les collisions en l'air en faisant partir une balle avant l'autre ou en
la faisant sauter plus haut. »
Dès le début
de la représentation, Rob alla s'exercer dans une clairière. La balle bleue
heurtait très souvent la rouge avec un bruit sec comme un rire moqueur ;
elles tombaient, roulaient par terre, il fallait les ramasser. C'était à
désespérer. Heureusement, personne ne le voyait, sauf peut-être un oiseau ou
une souris des champs.
Au bout de
deux jours de travail, il avait fait de nouveaux progrès. Le Barbier lui
expliqua comment s'y prendre pour que les balles décrivent un cercle.
« C'est
plus facile que tu ne crois : tu envoies la première balle et, pendant
qu'elle est en l'air, tu fais passer la seconde dans ta main droite. La main
gauche rattrape la première, la droite envoie la seconde et ainsi de suite.
Hop ! hop ! hop ! Elles montent vite, mais elles descendent plus
lentement. C'est ça le secret du jongleur : tu as tout ton temps. »
A la fin de la
semaine, Rob apprit à jongler d'une seule main avec deux balles ; il
fallait en tenir une sur la paume et l'autre au bout des doigts. C'était une
chance d'avoir une grande main. Il améliora peu à peu sa vitesse et sa
dextérité.
Trois jours
après la Saint-Swithin, il eut dix ans, mais n'en dit rien. Il
grandissait ; les manches que Mam avait pourtant taillées longues lui arrivaient
bien au-dessus des poignets. Le Barbier le faisait travailler dur : les
corvées quotidiennes, le bois, l'eau, le déchargement et le rechargement de la
carriole à chaque étape... Il se faisait une charpente et des muscles avec les
repas généreux qui entretenaient les rondeurs du Barbier.
Ils
s'accoutumaient l'un à l'autre. Rob ne s'étonnait plus de voir son maître
ramener une fille au campement ou aller passer la nuit chez elle ; c'était
un besoin de séduire toutes les femmes aussi bien que son public. Il
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