Le médecin d'Ispahan
chirurgien ne put
réprimer un sourire. Enfin, quand Ibn Sina reçut le papier, il y vit un tronc
en effet, mais le tronc tordu d'un abricotier avec l'amorce d'une branche et
des feuilles. La blessure de l'arbre était visible, et un système d'attelles
maintenait contre l'écorce le rameau brisé.
Ibn Sina
regarda Jesse en dissimulant son soulagement et son affection. Il était ravi de
voir la mine du visiteur de Bagdad. Alors il posa à son élève le problème
philosophique le plus ardu qu'il pût formuler, certain que le maristan
d'Ispahan n'avait pas dit son dernier mot.
Rob avait eu
un choc en reconnaissant Musa ibn Abbas, l'adjoint du vizir, dont il avait
surpris la rencontre avec l'ambassadeur seldjoukide. Mais lui-même n'ayant pas
été repéré, la présence du mullah dans le jury n'offrait aucun danger. Après
l'examen, il alla travailler au maristan, visitant les patients du service de
chirurgie, changeant les pansements, retirant les points de suture. Le temps
passait, sans apporter de nouvelles. Soudain, Jalal ul-Din entra dans la salle
– ce qui signifiait à coup sûr que le jury s'était dispersé. Rob fut tenté de
l'interroger sur le verdict, mais il ne dit rien et le maître ne sembla pas
remarquer son anxiété.
Ensemble, ils
avaient soigné la veille un berger piétiné par un taureau ; la fracture
réduite, l'épaule recousue, les attelles avaient été posées. Jalal se plaignit
que les pansements volumineux faisaient avec elles une juxtaposition
malcommode.
« Ne
peut-on ôter les pansements ?
– C'est trop
tôt », dit Rob embarrassé, car le chirurgien devait le savoir mieux que
lui.
Jalal haussa
les épaules et regarda son élève en lui souriant avec chaleur.
« Tu dois
avoir raison, hakim. »
Hakim !
Rob fut si bouleversé qu'il en resta un moment sans pouvoir bouger. Puis il fut
repris par la routine. Mais, dès qu'il eut quitté son dernier malade, il
s'abandonna à la joie la plus profonde qu'il eût éprouvée de sa vie. Il se
précipita dehors comme un homme ivre pour aller tout raconter à Mary.
56. UN ORDRE
Rob était devenu hakim six jours avant son vingt-quatrième anniversaire et son
bonheur dura des semaines. Pas de maidans pour célébrer la promotion des
nouveaux médecins ; l'événement valait mieux qu'une soirée d'ivresse. Les
deux familles dînèrent ensemble chez les Askari. Puis Rob et Mirdin allèrent
commander robes noires et capuchons.
« Vas-tu
repartir pour Mascate ?
– Je reste ici
plusieurs mois encore pour étudier au trésor des drogues. Et toi ? Quand
retournes-tu en Europe ?
– Mary ne doit
pas voyager pendant sa grossesse. Nous préférons attendre que l'enfant soit né
et assez fort pour supporter une si longue route... Ils vont être heureux à
Mascate de fêter le retour de leur médecin. Leur as-tu écrit que le chah
voulait leur acheter une perle ?
– Ma famille
n'achète aux pêcheurs que de toutes petites perles, de celles qu'on coud sur
les vêtements. Nous n'avons pas les moyens d'en acquérir de grosses. Et puis
les rois paient mal ; j'espère qu'Ala a oublié la
" fortune " promise à mes parents ! »
« On
s'est inquiété de ton absence, hier soir à la cour, dit le chah.
– J'étais près
d'une malade », répondit Karim. En fait, il était chez Despina, ayant
réussi pour la première fois depuis cinq nuits à échapper à l'adulation et aux
caprices des courtisans. Chaque instant avec elle lui était précieux.
« Il y a
des malades à ma cour qui ont besoin de ton savoir.
– Oui,
Majesté. »
Malgré la
faveur que lui témoignait manifestement le roi, Karim était las des nobles avec
leurs maladies imaginaires ; il regrettait l'activité et le vrai travail
du maristan, où il se sentait utile au lieu de servir d'ornement. Mais, chaque
fois qu'au palais du Paradis les sentinelles le saluaient, il songeait à
l'ébahissement de Zaki-Omar s'il avait son protégé se promener à cheval avec le
roi de Perse.
« J'ai
des projets, dit Ala, de grands événements préparent. Fais dire à tes amis
juifs de nous rejoindre. J'ai à vous parler. »
Deux matins
plus tard, Rob et Mirdin furent priés d'accompagner le chah à cheval. C'était
maintenant une excursion familière mais ils s'exercèrent ce jour-là au tir
parthe et seuls Karim et le roi y réussirent. Enfin, quand ils furent tous
quatre ans l'eau chaude de la grotte, Ala annonça calmement qu'il lancerait
dans cinq jours un
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