Le médecin d'Ispahan
trois seulement.
– Tu as été
barbier-chirurgien. Et tous ceux qui t'ont formé ont appris à te connaître.
Nous avons deux semaines pour travailler ensemble et nous réussirons
l'examen. »
55. L'IMAGE INTERDITE
Ibn
Sina était né au hameau d'Ashanah, près du village de Kharmaythan, puis
sa famille s'établit à Boukhara, la ville voisine. Son père, collecteur
d'impôts, lui donna très tôt des maîtres ; à dix ans il savait le Coran en
entier et avait assimilé en grande partie la culture islamique. Mahmud le
Mathématicien, un marchand de légumes instruit, ami de son père, lui enseigna
le calcul indien et l'algèbre. Il n'avait pas de barbe au menton qu'il était
diplômé de droit et avait approfondi l'étude d'Euclide et de la géométrie, si
bien que ses maîtres prièrent son père de le laisser consacrer sa vie à
l'étude.
Il commença sa
médecine à onze ans et, à seize, donnait des cours à des praticiens plus âgés,
tout en consacrant beaucoup de temps à la pratique de la loi. Il fut toute sa
vie juriste et philosophe, mais comprit qu'en dépit du prestige que lui
assurait son érudition parmi les Perses, rien ne les intéressait plus que leur
bien-être et leur conservation. Il employa son génie à veiller sur la santé de
plusieurs souverains et, bien qu'il écrivît beaucoup d'ouvrages de droit et de
philosophie, c'est comme prince des médecins qu'il acquit la célébrité et le
respect dans tous les pays où il voyagea.
A Ispahan,
passé directement du statut de réfugié politique à celui de médecin-chef, il
persuada la communauté médicale, au lieu d'envoyer les étudiants à Bagdad, de
les sélectionner à la madrassa, au cours d'examens qu'il présiderait lui-même.
Il n'ignorait pas qu'il manquait de moyens. L'académie de Tolède avait son
palais de la Science, l'université de Bagdad son école de traducteurs, et Le
Caire se vantait d'une tradition médicale de plusieurs siècles. Toutes
possédaient de magnifiques bibliothèques. La présence d'Ibn Sina devait
compenser à Ispahan la modestie des installations ; et il tenait
par-dessus tout à la réputation des étudiants qu'il formait.
Or une
caravane lui apporta une lettre d'Ibn Sabur Yaqut, président du jury médical de
Bagdad : il venait à Ispahan et visiterait le maristan dans la première
moitié du mois de zulkadah . Ibn Sina l'avait déjà rencontré et se
préparait à affronter les remarques condescendantes de son confrère. Il savait
aussi que les examens là-bas ne passaient pas pour très rigoureux. Mais il
avait au maristan les deux étudiants les plus remarquables de sa carrière et
c'était l'occasion de montrer à la communauté médicale de Bagdad quels médecins
on formait à Ispahan.
Ainsi, parce
qu'Ibn Sabur Yaqut venait au maristan, Jesse ben Benjamin et Mirdin Askari
étaient convoqués à l'examen qui leur accorderait ou leur refuserait le titre
de hakim.
Ibn Sabur
était bien tel que se le rappelait Ibn Sina. Le succès lui avait donné un
regard impérieux sous des paupières bouffies ; il avait plus de cheveux
gris que douze ans plus tôt, à Hamadhan, et portait un costume resplendissant
et coûteux, dont le travail exquis ne réussissait pas à cacher son embonpoint.
Il fit le tour de la madrassa et du maristan, le sourire aux lèvres, et fit
remarquer avec un soupir que ce devait être un plaisir d'avoir à traiter les
problèmes dans un cadre aussi restreint.
Ibn Sina
n'avait pas eu de peine à choisir des examinateurs dont la valeur ne serait
contestée ni au Caire ni à Tolède : al-Juzjani en chirurgie, l'imam Yussef
Gamali, de la mosquée du Vendredi, pour la théologie ; Musa ibn Abbas, un
mullah de l'entourage de Qandrasseh, se chargerait du droit et de la
jurisprudence, Ibn Sina lui-même de la philosophie. En médecine, le visiteur de
Bagdad était adroitement encouragé à poser ses questions les plus difficiles.
Le
médecin-chef ne s'inquiétait pas que ses candidats soient tous deux juifs. Il
avait remarqué que les dhimmis les plus intelligents étaient déjà formés dans
leurs maisons d'étude à la recherche et à la discussion, à l'approfondissement
des vérités et des preuves, si bien que, venant à la médecine, ils avaient déjà
fait la moitié du chemin.
Mirdin Askari
passa le premier. Sa longue figure était attentive et calme. Quand Musa ibn
Abbas l'interrogea sur les droits de propriété , il répondit sans éclat
mais sans rien omettre,
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