Le médecin d'Ispahan
mille fois ceux de l'ours.
8. LE BATELEUR
Le jeudi saint passa, mais ils restèrent à Exmouth car Rob devait s'initier à tous
les aspects du spectacle. Ils jonglèrent à deux, ce qu'il aima tout de suite et
réussit parfaitement. Après cela, les ours de prestidigitation ne lui parurent
pas plus difficiles que de jongler à quatre balles.
« Ce n'est
pas le diable qui fait les magiciens, lui dit le Barbier. La magie est un art
d'homme, qu'il s'agit de maîtriser, comme la jonglerie, mais c'est beaucoup
plus facile, rassure-toi. »
Il lui
expliqua les secrets élémentaires de la magie blanche.
« Tu dois
être audacieux, sûr de toi, travailler avec rigueur, avoir les mains agiles et
te dissimuler derrière un baratin en utilisant des mots rares pour enjoliver
les choses. Le tout, c'est d'avoir des trucs, des gestes et des attitudes pour
détourner l’attention des spectateurs : il faut qu'ils regardent autre
chose que ce que tu es en train de faire réellement .
« Pour le
tour du ruban, par exemple, il m'en faut de plusieurs couleurs : bleu,
rouge, noir, jaune, vert et brun. J'y fais des nœuds régulièrement espacés
puis, en rouleaux bien serrés, je les partis dans mes poches et je
demande :" Qui veut du ruban ? – Moi ! m'sieur, du
bleu, deux aunes. " Ils demandent rarement davantage : on ne se
sert pas de ruban pour attacher une vache. Je fais semblant d'avoir oublié ce
qu'on m'a demandé et je passe à autre chose. Alors, toi, tu détournes leur
attention, en jonglant peut-être. Pendant qu'ils te regardent, je prends le
ruban dans ma poche de gauche, je simule une toux en cachant ma bouche et le
rouleau se retrouve dedans. Dès qu'ils me regardent à nouveau, je découvre le
bout du ruban entre mes lèvres, et je le tire peu à peu. Quand le premier nœud
arrive aux dents, il passe et, quand je sens le second, je sais que j'ai deux
aunes : je coupe le ruban et je le donne. »
Rob était
content d'avoir appris le tour, mais déçu de le trouver si simple. Il n'y avait
plus de magie. Il perdit ainsi d'autres illusions et fut bientôt sinon un
magicien expérimenté, du moins un assistant qualifié. Il apprit à danser, à
chanter, à raconter des plaisanteries et des histoires qu'il ne comprenait pas
toujours, et à débiter avec aplomb le boniment qui vantait les vertus du
Spécifique Universel. Le Barbier trouva son élève doué et le jugea prêt, bien
plus tôt que Rob ne s'y attendait.
Ils se mirent
en route en avril, par un matin brumeux, et traversèrent les collines de
Blackdown sous une petite pluie de printemps. Le ciel s'éclaircit le troisième
jour quand ils arrivèrent à Bridgeton. Rob y fit ses premières armes.
« Bon
jour et bon lendemain, dit le Barbier comme d'habitude. Très heureux d'être
parmi vous. »
Ils
commencèrent ensemble avec deux balles puis, en même temps, chacun en sortit de
sa poche une troisième, une quatrième, enfin une cinquième. Celles de Rob
étaient rouges et celles du Barbier bleues ; elles volaient de leurs mains
entre eux puis descendaient de chaque côté comme l'eau de deux fontaines
jumelles. Leurs doigts, qui bougeaient à peine, faisaient danser les balles de
bois.
Les
applaudissements furent les plus enthousiastes que Rob eût jamais entendus. Le
lendemain, il manqua trois balles à Yeoville mais le Barbier le consola :
« Cela
peut arriver au début, de moins en moins ensuite, et puis plus du tout. »
Il y eut
encore cette semaine-là Taunton, ville de commerçants, et Bridgwater, où on
évita les gaudrioles à cause des fermiers pudibonds. Ils arrivèrent à
Glastonbury le lundi de la Pentecôte ; la pieuse cité avait édifié ses
demeures autour de la belle église Saint-Michel.
« Ici, il
faut être discrets, le pays est aux mains des prêtres, qui se méfient de tout
ce qui est médecine parce qu'ils se croient chargés des corps des humains comme
de leurs âmes. »
Rob repéra
parmi les spectateurs au moins cinq de ces sombres personnages, que les
« joyeuses Pâques » se semblaient pas avoir déridés. Le Barbier
choisit pour jongler les balles rouges, car, dit-il d'un ton solennel, elles
figurent les langues de feu qui représentent le Saint-Esprit dans les Actes des
Apôtres. Puis Rob le remplaça sur l'estrade où, seul, et les yeux au ciel comme
il convenait, il entonna un hymne au Créateur qui émut toute l'assistance. On
soupirait encore quand le Barbier revint, brandissant une fiole
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