Le médecin d'Ispahan
expliquait
que son Spécifique Universel était une médecine orientale, qu'on préparait en
faisant infuser la fleur séchée de la Vitalia, une plante introuvable ailleurs
qu'au fond des déserts d'Assyrie. En fait, quand la réserve de Spécifique s'épuisa,
Rob s'aperçut, en aidant à en fabriquer d'autre, que c'était surtout de
l'alcool. On achetait à quelque fermier un tonnelet d'hydromel et, quant à la
Vitalia, l'Herbe de Vie d'Assyrie, on ajoutait une pincée de salpêtre qui
donnait un goût pharmaceutique, atténué par le miel fermenté. Les flacons
étaient petits.
« Il faut
acheter bon marché le tonnelet et vendre cher la fiole, disait le Barbier. Nous
sommes avec les pauvres et le menu peuple. Au-dessus : les chirurgiens,
qui font payer plus cher et qui laissent volontiers aux gens de notre espèce
les besognes qui leur saliraient les mains. Enfin, loin de tous ces misérables,
les médecins arrogants, gonflés de leur importance, ne soignent que la noblesse
parce qu'ils sont hors de prix. Tu ne t'es jamais demandé pourquoi ce barbier
ne taille ni barbes ni cheveux ? C'est que je choisis mon travail. Ecoute
bien ce que je te dis : s'il prépare bien le médicament et s'il sait le
vendre, un barbier-chirurgien peut gagner autant qu'un médecin. N'oublie jamais
ça, quoi qu'il arrive. »
Quand le
Spécifique fut prêt, le Barbier en versa une partie dans un petit récipient, et
Rob médusé le vit uriner dedans.
« C'est
ma cuvée spéciale, dit-il d'une voix suave. Après-demain, nous serons à Oxford
où le maire, John Fitts, me fait payer pour me tolérer dans son comté. Dans une
quinzaine, ce sera Bristol : le tavernier Potter m'abreuve d'insultes
pendant mon spectacle. J'ai toujours sous la main quelques petits cadeaux pour
ce genre d'individus. »
A Oxford, en
effet, le maire, un échalas au rictus méprisant, reçut son pot-de-vin puis le
flacon qu'il déboucha et vida instantanément. Rob s'attendait à le voir saisi
d'un haut-le-cœur, crachant et hurlant qu'on arrête le criminel... Mais, ayant
tout bu jusqu'à la dernière goutte, il se passa la langue sur les lèvres.
« Un bon
remontant, fît-il.
– Merci, sir
John, répondit le Barbier.
– Tu m'en
mettras plusieurs bouteilles pour ma maison.
–
Certainement, monseigneur », dit encore le Barbier en soupirant.
Les flacons de
la cuvée spéciale, marqués d'un trait pour les distinguer des autres, étaient
rangés dans un coin de la charrette, mais Rob n'osa plus boire de Spécifique,
craignant de se tromper. La cuvée spéciale du Barbier lui évita peut-être de
sombrer dans un alcoolisme précoce.
Il eut
beaucoup de peine à jongler avec trois balles ; il en rêvait la nuit, et
s'obstina pendant des semaines malgré les échecs. Ils étaient à Stratford quand
il réussit enfin : rien de changé dans la manière de lancer les balles et
de les rattraper, mais il avait trouvé son rythme. Les balles montaient et
descendaient naturellement, comme un prolongement de son corps.
Le Barbier
était ravi.
« Tu me
fais un beau cadeau pour mon anniversaire. »
Pour fêter les
deux événements, ils achetèrent un marché un gigot de chevrotin qui fut lardé,
dûment assaisonné et cuit à la bière avec des petites carottes.
« Quand
est-ce, ton anniversaire ? demanda le maître.
– Trois jours
après la Saint-Swithin.
– Mais il est
passé ? Tu ne m'as rien dit. »
Rob se tut et
le Barbier, l'observant en hochant la tête, lui remplit de nouveau son
assiette. Le soir, la taverne, il chanta et fît danser les femmes avec une
agilité surprenante pour un si gros homme. Les gens criaient bravo ! en
frappant dans leurs mains.
7. LA MAISON SUR LA BAIE DE LYME
Un matin, Rob réussit à tirer de la corne saxonne un son superbe et, désormais, il
eut l'honneur d'annoncer leur passage à tous les échos. Les jours
raccourcissant avec la fin de l'été, ils partirent vers le sud-ouest.
« J'ai
une petite maison à Exmouth, dit le Barbier, et j'essaie de passer chaque hiver
sur cette côte où le climat est doux, car je n'aime pas le froid. »
Il donna une
balle brune à Rob, la quatrième, qui ne lui causa pas de grandes
difficultés : il suffisait de jongler avec deux balles dans chaque main.
Mais il n'eut pas le droit de s'exercer en route ; il aurait fallu
s'arrêter trop souvent pour récupérer les balles perdues. Ils rencontraient
parfois des enfants de son âge qui chahutaient ou
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