Le médecin d'Ispahan
apparemment deux robes noires
qu'elle lavait à tour de rôle. Elle semblait trop habituée aux déplacements
saisonniers pour se soucier de l’inconfort, mais il régnait autour d'elle et de
Cullen un air de mélancolie. Il en conclut qu'ils étaient en deuil. Parfois,
elle chantait doucement. Le matin du quatrième jour, alors que la caravane
avançait lentement, elle sauta à terre pour se dégourdir les jambes et se mit à
marcher près de la charrette en tenant son cheval par la bride. Rob la regarda
et lui sourit. Elle avait des yeux immenses, d'un bleu profond comme certains
iris ; son visage aux pommettes hautes était allongé, sensible ; sa
bouche, grande et charnue comme toute sa personne, se révélait étonnamment
expressive.
« Dans
quelle langue chantez-vous ?
– En gaélique.
Ce que nous appelons l'erse.
– C'est ce que
je pensais.
– Comment un
Sassenach peut-il reconnaître l'erse ?
– Qu'est-ce
qu'un Sassenach ?
– Nous
appelons ainsi ceux qui vivent au sud de l'Ecosse.
– Et ce n'est
pas un compliment, je suppose ?
–
Exact », admit-elle. Cette fois elle sourit.
« Mary
Margaret ! » cria son père.
En fille
obéissante, elle le rejoignit aussitôt.
Mary
Margaret ? Elle devait avoir le même âge qu'Anne Mary. Sa sœur, enfant,
avait les cheveux châtains avec des reflets roux... Mais ce n'était pas Anne
Mary : il fallait cesser de la voir partout, sinon il deviendrait fou. La
fille de Cullen ne l'intéressait pas ; il y avait assez de mignonnes dans
le monde. Gardons nos distances.
Le père, lui,
cherchait à lier conversation. Il vint un soir avec un pichet de cervoise.
« Vous
connaissez-vous en moutons, maître Cole ? »
Ravi d'apprendre
que non, il entreprit son éducation.
« Il y a
moutons et moutons. Chez moi, à Kilmarnock, les brebis ne pèsent souvent pas
plus de cent cinquante livres ; on m'a dit qu'en Orient, nous en
trouverions de deux fois plus grosses, avec ne toison longue, plus épaisse que
celle des nôtres et si grasse que la laine, une fois filée, protège de la
pluie. »
Il comptait
acheter des bêtes pour la reproduction, qu'il ramènerait en Ecosse. Un voyage
coûteux, qui expliquait la présence des chevaux de charge. Cullen ferait bien
d'engager des gardes du corps !
« Vous
allez rester longtemps loin de votre élevage.
– Je l'ai
laissé en bonnes mains, à des gens de confiance. C'était dur mais... Je viens
d'enterrer ma femme, après vingt-deux ans de mariage. »
Il fit une
grimace et but une longue gorgée. Cela explique leur chagrin, se dit Rob, et le
médecin en lui voulut savoir de quoi elle était morte. Cullen toussa.
« Elle
avait deux grosseurs dans les seins, très dures. Elle pâlissait, perdait
l'appétit, n'avait plus ni volonté ni force. A la fin, elle a terriblement
souffert. Ça a été très long, et pourtant je ne pouvais pas croire à sa mort.
Elle s'appelait Jura... Je n'ai pas dessoûlé pendant six semaines niais ça n'a
servi à rien. Depuis des années, je pensais acheter un beau troupeau en
Anatolie. Et voilà, je me suis décidé. »
Il offrit
encore à boire au barbier, sans s'offenser de son refus, puis se leva et il
fallut le soutenir.
« Bonne
nuit, maître Cole, à bientôt. »
Suivant des
yeux sa démarche chancelante, Rob se dit que pas une fois il n'avait parlé de
sa fille.
L'après-midi
suivant, un certain Félix Roux, français, trente-huitième dans l'ordre de
marche, fut désarçonné par son cheval, qu'un blaireau avait effrayé ; tout
le poids du corps ayant porté sur l'épaule, le bras cassa. Kerl Fritta fit
appeler Rob, qui remit l'os en place et tâcha de faire comprendre au blessé
qu'il souffrirait beaucoup, mais pourrait néanmoins continuer son voyage ;
il chargea Seredy de lui expliquer comment tenir le bras en écharpe.
Pensif, il
revint à sa voiture : il avait accepté de soigner plusieurs voyageurs par
semaine, mais ne pouvait indéfiniment employer Seredy comme interprète, bien
qu'il le payât largement. Apercevant Simon ben ha-Levi occupé à réparer une
sangle, il s'approcha.
« Tu sais
le français et l'allemand ? »
Le jeune homme
hocha la tête tout en coupant avec ses dents un bout de son fil ciré. Il écouta
ce que Rob avait à lui dire et, comme le travail, bien rétribué, demandait peu
de temps, il accepta de lui servir de traducteur. Le barbier en fut très
content.
« Comment
as-tu appris tant de langues ?
– Nous
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