Le médecin d'Ispahan
t'aider car on parle en Bohême une langue que
j'ignore. »
Le soir, à
l'auberge, ils commandèrent un repas d'adieu, mais les plats du pays, viande
fumée au lard, choux en marinade, ne furent pas de leur goût et ils se
rattrapèrent sur le vin rouge. Rob paya largement le vieil homme, qui lui
donna, sagement, un dernier conseil.
« Tu vas
aborder une région dangereuse. On dit qu'en Bohême la différence est difficile
à voir entre les bandits et les gens des seigneurs. Tâche de te trouver des
compagnons. »
Le Danube
était plus puissant et plus rapide que Rob ne s'y attendait, avec ce calme de
surface qui indique une eau profonde. Charbonneau retarda d'un jour son départ
pour l'accompagner jusqu'à Linz, un coin sauvage où un grand radeau passait
voyageurs et marchandises dans la partie la plus navigable du fleuve.
« Allons !
Peut-être nous reverrons-nous ? dit le jeune homme.
– Je ne crois
pas », répondit le Français. Puis ils s'embrassèrent et Rob s'en alla
discuter le prix de traversée.
Le passeur
était un gros homme revêche, qu'un mauvais rhume obligeait sans cesse à
renifler la morve qui lui coulait du nez. Dans son ignorance du bohémien, le
barbier dut s'expliquer par gestes et garda l'impression d'avoir été roulé.
Quand il revint à la charrette, Louis Charbonneau avait disparu.
Le troisième
jour, il rencontra cinq Allemands as et rougeauds, à qui il tenta d'expliquer
qu'il voulait faire route avec eux ; il fut poli, offrit de l’or, se
montra disposé à cuisiner et partager les corvées du camp, mais ils n'eurent
pas un sourire et ne lâchèrent pas les gardes de leurs cinq épées.
« Merdeux ! »
fit-il en tournant les talons. Mais comment les blâmer ? Pour leur groupe
déjà solide, l'inconnu était un danger.
Cheval le mena
des montagnes vers un plateau entouré de vertes collines : des champs de
terre grise, mais surtout la forêt. La nuit, il entendit hurler les loups et
entretint le feu, puis il finit par s'endormir, Mme Buffington blottie contre
lui.
Charbonneau
lui avait apporté beaucoup, mais il comprit que l'essentiel avait été sa
compagnie. Il allait seul, maintenant, sur la route romaine car il ne pouvait
adresser la parole à aucun de ceux qu'il rencontrait.
Une semaine
plus tard, un matin, il vit pendu à un arbre au bord de la route le corps nu
d'un homme mutilé. Un petit homme au museau de furet et à qui manquait
l'oreille gauche.
Dommage !
Le Français ne saurait pas que d'autres avaient rattrapé leur troisième
bandit !
25. LA CARAVANE
Rob traversa le large plateau et retrouva les montagnes ; elles n'étaient pas
aussi hautes que les précédentes mais assez accidentées pour ralentir sa
marche. Il rencontra deux fois encore des groupes auxquels il tenta vainement
de se joindre. Un matin, des cavaliers en haillons le dépassèrent en riant
quelque chose dans une langue incompréhensible ; il salua sans répondre,
devinant à leur mine farouche qu'en leur compagnie il ne ferait pas de vieux
os.
Parvenu dans
une grande cité, il eut la joie d'y trouver une taverne dont le patron savait
un peu d'anglais : la ville s'appelait Brünn et la région était surtout
peuplée de Tchèques. Il n'en apprit pas avantage – pas même d'où l'aubergiste
tenait son petit bagage d'anglais. En le quittant, il tomba sur un voleur qui
fouillait au fond de la carriole.
« Va-t'en »,
dit-il doucement, en tirant son épée.
Mais l'homme
avait déjà sauté de la voiture avant qu'il ne puisse l'attraper. La bourse
restait bien cachée sous le plancher ; il ne manquait qu'un sac plein de
son attirail d'illusionniste. Rob se consola en imaginant quelle tête ferait
l'autre en l'ouvrant. Il décida d'entretenir ses armes chaque jour et graissa
les lames pour qu'elles glissent plus aisément du fourreau. La nuit, il dormait
à peine, toujours aux aguets, se sachant impuissant contre une bande
malintentionnée. Neuf longs jours passèrent dans cette solitude inquiète. Un
matin, la route émergeant des bois, il découvrit, surpris et plein d'espoir, un
village qu'avait envahi une immense caravane. Les seize maisons du hameau
étaient prises au milieu de centaines de bêtes : chevaux, mules de toute
espèce, sellés ou attelés à toutes les formes de voitures. Il attacha Cheval à
un arbre et se mêla à la foule dans une rumeur de langues incompréhensibles.
« Pardon,
où est le chef de la caravane ? » demanda-t-il à un homme
Weitere Kostenlose Bücher