Le médecin d'Ispahan
moutons en Anatolie.
Quelle proie tentante pour une bande importante et bien armée ! Mais la
solitude était plus dangereuse encore que la caravane et Rob, chassant ses
craintes, s'absorbait chaque jour dans l'étude du livre sacré.
Le beau temps
persistait et le bleu profond du ciel automnal lui rappelait en vain les yeux
de Mary : elle gardait ses distances, son père désapprouvant la
familiarité du barbier avec les Juifs. Simon finissait de vérifier le livre de
comptes. Il remontait chaque jour dans la charrette et s'efforçait de faire de
son élève un excellent marchand.
– Quelle est
l'unité de poids persane ?
– C'est le man ,
qui vaut environ six livres et demie d'Europe », dit Rob.
Il savait
aussi les autres mesures, ce qui lui valut des félicitations. Mais, voulant
toujours apprendre davantage, il posait sans cesse de nouvelles questions et
importunait Simon, qui finissait par maugréer.
Deux fois par
semaine, le barbier donnait des consultations ; c'était son tour d'être le
spécialiste compétent. Simon, qui lui servait alors d'interprète, écoutait,
regardait et demandait des explications. Un Franc conducteur de bestiaux, au
visage figé dans un sourire benêt, se plaignait de douleurs aux genoux, où il
sentait des bosses dures. Rob lui donna un baume à base d'herbes calmantes et
de graisse de mouton, en lui disant de revenir quinze jours plus tard ;
mais dès la semaine suivante, l'homme souffrait du même mal aux deux aisselles.
Il repartit avec des fioles de Spécifique, et Simon s'étonna :
« Qu'est-ce
qu'il a ?
– Ces
grosseurs disparaîtront peut-être, mais j'en doute ; elles se
multiplieront plutôt, car je pense qu'il a une tumeur. Alors il va bientôt
mourir.
– Et tu ne
peux rien faire ?
– Non. Je ne
suis qu'un barbier-chirurgien ignorant. Peut-être qu'un grand médecin saurait
le soulager.
– A ta place,
je ne ferais pas ce métier, dit lentement Simon, si je n'avais pas appris tout
ce qu'on peut en connaître. »
Rob le regarda
sans rien dire. Le jeune Juif saisissait d'un coup, comme une évidence, ce que
lui-même avait mis tant de temps à comprendre.
Cette nuit-là,
il fut brutalement réveillé par Cullen.
« Vite,
venez vite, pour l'amour du Ciel !
– Mary ?
demanda Rob, en entendant crier une femme.
– Non, non,
dépêchez-vous ! »
Dans la nuit
noire, sans lune, on avait allumé des torches juste derrière le campement des
Juifs, et la lueur des flammes éclairait un homme couché par terre, mourant.
C'était Raybeau, le Français au teint blême qui se disputait si souvent avec
son épouse ; de sa gorge ouverte, la vie s'échappait en un flot de sang.
« Il était
de garde cette nuit », chuchota Simon.
Mary
s'occupait de la grosse femme qui hurlait ; à son appel angoissé, Rob vit
le Français se raidir, avec un gargouillement, puis mourir dans une dernière
convulsion. Un bruit de galopade dispersa les assistants.
« Ce
n'est que le détachement envoyé par Fritta », dit tranquillement Meir,
resté dans l'ombre.
Toute la
caravane était debout et armée. Mais les cavaliers de Fritta revinrent
bientôt : il ne s'agissait pas d'une bande importante, dirent-ils. Un
voleur isolé ou un bandit venu en éclaireur ? De toute façon, l'assassin
avait disparu. On dormit peu le reste de la nuit. Gaspar Raybeau fut enterré le
matin au bord de la route romaine, Kerl Fritta récita rapidement la prière des
morts en allemand, et l'on abandonna la tombe pour se remettre en chemin.
Le lendemain,
à Novi Sad, une ville active sur le Danube, les voyageurs apprirent que trois
jours plus tôt sept moines francs partis pour la Terre sainte avaient été
attaqués par des brigands, dépouillés, sodomisés et mis à mort.
Après cela,
ils s'attendaient à une attaque imminente, mais ils longèrent sans incident le
large fleuve jusqu'à Belgrade. Au marché, ils firent leurs achats – notamment
des prunes aigres très parfumées et de petites olives vertes que Rob apprécia.
Beaucoup de gens avaient quitté la caravane à Novi Sad, d'autres, encore plus
nombreux, s'en séparèrent à Belgrade. Si bien que les Cullen, Rob et les Juifs
avancèrent dans l'ordre de marche et ne firent plus partie de l'arrière-garde,
la plus exposée.
Peu après ils
abordèrent des collines puis des montagnes aux pentes abruptes hérissées de
blocs rocheux ; en altitude, un air piquant annonçait l'hiver. Il fallait
encourager Cheval à
Weitere Kostenlose Bücher