Le médecin d'Ispahan
leurs machines de
guerre, qui avaient disparu, laissant ces routes rectilignes,
indestructibles...
La fille de
Cullen marchait encore près de la charrette.
« Voulez-vous
monter, mam'selle ? Cela vous changera. »
Elle hésita,
puis tendit la main pour qu'il l'aide.
« Votre
joue va mieux. Bientôt vous n'aurez plus de cicatrice. »
Il rougit,
gêné de se sentir observé.
« Comment
ça vous est-il arrivé ?
– Je me suis
battu avec des brigands.
– Dieu nous
protège ! dit-elle avec un soupir. On prétend que Kerl Fritta fait courir
des bruits alarmants pour attirer les voyageurs dans sa caravane.
– C'est
possible. Les Magyars n'ont pas l'air bien terribles. »
De chaque côté
de la route, des paysans récoltaient les choux. Les jeunes gens se
turent ; les cahots de la charrette les rapprochaient par instants et il
respirait l'odeur de sa peau, comme l'arôme épicé des baies sauvages au soleil.
« Vous
n'avez jamais eu d'autre prénom ? demanda-t-il à mi-voix.
– Jamais,
fit-elle, surprise. Quand j'étais petite, mon père m'appelait Tortue parce que
je battais des paupières, comme ça. »
Il mourait
d'envie de toucher ses cheveux. Elle avait une cicatrice sous la pommette
gauche.
Cullen,
devant, se retourna sur sa selle et, voyant sa fille près du barbier, la
rappela d'une voix sèche. Elle se leva pour partir.
« Quel
est votre second prénom, maître Cole ?
– Jeremy.
– Vous n'en
avez jamais eu d'autre ? » insista-t-elle avec un regard moqueur.
Elle rassembla
ses jupes pour sauter sur le sol avec une souplesse animale. Il aperçut la
blancheur de ses jambes et fit claquer les rênes sur le dos de Cheval, furieux
qu'elle se soit moquée de lui.
Après le
souper, il chercha Simon pour sa seconde leçon et découvrit que les Juifs
possédaient des livres. Quand il était enfant, il savait que l'école
Saint-Botolph en avait trois : en latin, Bible et Nouveau Testament ;
en anglais, liste des fêtes religieuses dont le roi prescrivait l'observance.
Ecrits à la main sur du parchemin, les livres étaient rares et chers.
Les Juifs en
avaient sept, dans un petit coffre de cuir ouvragé. Simon en choisit un en
caractères persans et demanda à Rob d'y reconnaître certaines lettres. Il le
félicita d'avoir si vite appris l'alphabet et lut un passage en lui faisant
répéter chaque mot de cette langue mélodieuse.
« Quel
est ce livre ?
– Le Coran,
dit Simon, c'est leur Bible. »Et il traduisit :
Gloire au
Très-Haut, le Miséricordieux,
Créateur de
toutes choses.
Il a choisi
l'homme entre ses créatures
Comme
l'agent de sa Parole
Et, pour cela,
lui a donné l'intelligence,
A purifié
son cœur et illuminé son esprit.
« Je te
donnerai chaque jour une liste de dix mots ou expressions persanes que tu
devras apprendre pour la leçon suivante.
– Donne-m'en
vingt-cinq chaque fois », dit Rob, sachant qu'il n'aurait son professeur
que jusqu'à Constantinople.
Il les apprit
sans difficulté, laissant Cheval marcher la bride sur le cou. Mais, dans
l'espoir de progresser plus vite, il demanda à Meir de lui prêter le livre
persan.
« Non.
Nous ne devons jamais le perdre de vue. Tu ne peux le lire qu'avec nous.
– Simon
pourrait monter avec moi ?
– Et j'en
profiterais pour vérifier les livres de comptes », suggéra le jeune homme.
Meir
réfléchissait.
« Ce sera
un vrai savant. Il y a en lui un profond désir de s'instruire », insista
Simon.
Rob avait
gagné et il se rendit compte qu'ils le regardaient désormais avec d'autres
yeux.
Il attendit le
lendemain avec impatience, puis maudit les rites interminables qui
accompagnaient pour les Juifs la toilette et le petit déjeuner. Simon arriva
enfin avec le livre persan, un gros registre et un cadre de bois portant des
colonnes de perles enfilées sur des baguettes.
« Qu'est-ce
que c'est ?
– Un abaque,
un appareil qui simplifie les calculs. »
En chemin, les
cahots rendaient l'écriture impossible, mais on pouvait lire ; Rob
s'exerçait à reconnaître les mots, tandis que les petites boules de l'abaque
cliquetaient sous les doigts de Simon, l'entendant grogner, dans l'après-midi,
il comprit qu'une erreur s'était glissée dans les comptes. Le registre
comportait sans doute un état de toutes les transactions et les marchands
rapportaient à leur famille les profits de leur dernier voyage. Cullen aussi
transportait de l'argent, puisqu'il voulait acheter des
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