Le médecin d'Ispahan
suffisante pour étudier.
– L'étude est
parfois une joie, dit Rob, s'adressant directement au vieillard. Pour moi,
c'est un dur travail. J'apprends le persan parce que j'espère en obtenir ce que
je désire. »
Simon et le
rabbenu échangèrent quelques mots.
« Il
demandait si tu étais toujours aussi honnête. J'ai répondu que tu étais assez
loyal pour dire à un moribond qu'il allait mourir et il a été satisfait.
– Dis-lui que
j'ai de l'argent et que je paierai pour la nourriture et le toit.
– Ce n'est pas
une auberge ici, ceux qui y vivent doivent travailler, dit le sage par
l'intermédiaire de Simon. Si l'Ineffable nous est miséricordieux, nous n'aurons
pas besoin de barbier-chirurgien cet hiver.
– Je ne tiens
pas à travailler dans mon métier. Je veux me rendre utile. »
Le rabbenu
réfléchit en se grattant la barbe, puis il prit sa décision.
« S'il
arrive qu'un bœuf abattu soit déclaré non kascher, tu iras le vendre au boucher
de Gabrovo. Et, pendant le sabbat, quand les Juifs n'ont pas le droit de
travailler, tu t'occuperas du feu dans les maisons. »
Rob hésitait.
Le rabbenu, intrigué par une lueur ans ses yeux, le regardait attentivement.
« Une
question ? murmura Simon.
– Si un Juif
ne doit pas travailler pendant le sabbat, ne vais-je pas me damner en le
faisant ? »
Le vieillard
sourit en entendant la traduction.
« Il dit
qu'il ne te croit pas tenté de devenir Juif. Tu peux donc travailler sans
crainte pendant le sabbat et tu es le bienvenu à Tryavna. »
Rob pourrait
dormir au fond d'une grange-étable.
« Il y a
des chandelles à la maison d'étude, mais on ne peut pas s'en servir pour lire
dans la grange à cause du foin sec. »
Son premier
travail fut de nettoyer les stalles. La nuit, il s'allongea sur la paille, sa
chatte à ses pieds comme un lion couché. De temps en temps, Mme Buffington s'en
allait terroriser une souris mais elle revenait toujours. La grange sombre et
humide était réchauffée par les grands bovins et, dès qu'il fut habitué aux
meuglements et aux odeurs, Rob s'endormit paisiblement.
Trois jours
plus tard, l'hiver était là. La neige tomba si dru qu'il dut, avec une grande
pelle en bois, dégager toutes les portes bloquées par les congères. Il put ensuite
aller à la maison d'étude, une baraque glaciale, où un feu symbolique
languissait le plus souvent faute d'entretien.
On discutait
pendant des heures, assis autour des tables, avec âpreté et parfois en hurlant.
Leur langue, expliqua Simon, était un mélange d'hébreu et de latin, plus
quelques idiomes de pays où ils avaient voyagé ou vécu.
« De quoi
discutent-ils ?
– De points de
la Loi.
– Où sont
leurs livres ?
– Ils n'en ont
pas besoin. Ceux qui connaissent la Loi l'ont mémorisée en l'entendant de la
bouche de leurs maîtres. Les autres apprennent en les écoutant. Et c'est ainsi
depuis toujours. La Loi écrite existe, bien sûr, mais elle n'est là que pour
être consultée. Celui qui connaît la Loi orale la transmet à son tour comme on
la lui a enseignée. Il y a autant d'interprétations que de maîtres. D'où les
discussions. Chaque débat leur en fait apprenne un peu plus. »
Depuis son
arrivée à Tryavna, on appelait Rob « Mar Reuven », c'est-à-dire
maître Robert en hébreu. Entre eux, les Juifs s'appelaient Reb, un titre
témoignant de leur érudition mais inférieur à celui de rabbenu. Il n'y avait à
Tryavna qu'un rabbenu.
C'était un
peuple étrange.
« Pourquoi
a-t-il des cheveux comme ça ? demandait l'un.
– C'est un
goy, répondait Meir – " un autre ".
– Mais il
paraît qu'il est circoncis ?
– Un simple
accident, expliquait Meir en haussant les épaules, rien à voir avec l'alliance
d'Abraham. »
Rob, de son
côté, observait les peoth , ces boules de cheveux qu'ils portaient devant
les oreilles, leurs calottes, leurs barbes, leurs boucles d'oreilles, leurs
habits noirs et leurs coutumes païennes. Chacun avait sa manière de revêtir le tallit ,
le châle de prière, chacun son attitude et son rythme pendant la récitation des
textes sacrés.
Six heures par
jour, trois après le service religieux du matin, le shaharit , et trois
après celui du soir, le ma'ariv , la maison d'étude était bondée car la
plupart des hommes venaient d'étudier avant et après le travail quotidien.
Entre-temps, une ou deux tables seulement étaient occupées par des érudits à
temps complet. Rob pouvait
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