Le médecin d'Ispahan
gravir les pentes et le retenir dans les descentes. Simon
ne montait plus dans la carriole. Le soir, parfois, Rob épuisé allait prendre
une leçon à. son campement mais il ne réussissait pas toujours à apprendre même
dix mots de vocabulaire persan.
28. LES BALKANS
Kerl Fritta donna enfin toute sa mesure et, pour la première fois, Rob le regarda
avec admiration : il était partout, aidait à remettre en route les
charrettes en difficulté, pressait et stimulait les gens comme un bon
conducteur encourage ses bêtes. Le chemin était rocailleux ; le 1 er octobre, on perdit une demi-journée à ramasser les pierres qui encombraient la
piste. Les accidents étaient fréquents et le barbier, en une semaine, dut
remettre eux bras cassés. Un marchand normand, qui avait eu la jambe écrasée
par sa propre voiture, fut laissé chez des paysans qui acceptèrent de s'en
occuper. Il fallait espérer qu'ils ne l'assassineraient pas pour le voler dès
que la caravane serait partie.
« Nous
avons quitté la terre des Magyars pour la Bulgarie », annonça Meir un
matin.
Cela ne
changeait pas grand-chose à la nature hostile et au vent, cinglant en altitude.
On se couvrait de vêtements plus chauds qu'élégants, ce qui faisait un étonnant
cortège de créatures loqueteuses et matelassées. Par un matin gris, la mule de
Gershom trébucha et se brisa les membres de devant, en hurlant de douleur comme
un être à l'agonie.
« De
l'aide ! » cria Rob.
Meir sortit un
long couteau et trancha la gorge frémissante. On se mit aussitôt à décharger la
bête morte, mais une discussion s'éleva au sujet d'un sac de cuir : ce
serait, disait Gershom, un poids excessif pour l'autre mule, déjà lourdement
chargée. On entendit, derrière eux, les protestations du reste de la caravane
qui n'admettait pas d'être retardée.
« Mettez
le sac dans ma charrette », proposa Rob.
Meir hésita
puis secoua la tête.
« Alors,
allez au diable ! » cria le barbier furieux de ce manque de
confiance.
Simon courut
après lui.
« Ils
vont attacher le sac sur mon cheval. Puis-je monter avec toi jusqu'à ce qu'on
achète une nouvelle mule ? »
Rob acquiesça
d'un air maussade.
« Tu n'as
pas compris, expliqua Simon après un long silence. Meir doit garder les sacs
avec lui, ce n'est pas notre argent ; une partie est à la famille et le
reste aux investisseurs. Il en a la responsabilité. »
Le soir, avant
le souper, il fallut voir quelques malades. Rob fut surpris de trouver Gershom
parmi eux, avec un furoncle à la fesse droite. Il incisa, pressa pour évacuer
le pus et faire apparaître le sang propre.
« Il ne
pourra pas s'asseoir sur une selle pendant plusieurs jours.
– Mais il le faut.
Nous ne pouvons pas l'abandonner. »
Décidément,
les Juifs posaient des problèmes ce jour-là !
« Tu
prendras son cheval et il montera à l'arrière du chariot. »
Le patient
suivant était le Franc au sourire figé ; il souffrait, ses tumeurs avaient
grossi et il y en avait de nouvelles. Rob prit sa main dans les siennes.
« Simon,
dis-lui qu'il va mourir. »
L'interprète
jeta à Rob un regard noir et le maudit. Puis, devant son insistance, il se mit
à parler doucement, en allemand. Le sourire s'évanouit sur le visage stupide du
Franc, qui retira sa main et montra le poing en grommelant.
« Il dit
que tu es un foutu menteur. »
Sous le regard
du barbier, qui ne le quittait pas des yeux, l'homme cracha et s'éloigna en
traînant les pieds. Il ne restait plus que deux hommes à la toux persistante
qui partirent avec du Spécifique, et un Hongrois qui s'était démis le pouce.
Son travail
fini, Rob s'en alla, pour échapper à tout cela. La caravane s'était dispersée,
chacun cherchant à s'abriter du vent. Passé le dernier chariot, il aperçut
Mary, debout sur un rocher, au-dessus de la piste. On la sentait hors de ce
monde : les bras ouverts, la tête renversée en arrière et les yeux clos,
elle tenait écartés les pans de sa lourde veste comme pour se purifier au
souffle du vent, qui la submergeait tel un flot puissant. Il plaquait la robe
noire sur son grand corps, soulignant les seins lourds aux pointes tenues, le
nombril creux qui ponctuait la courbe du ventre, et l'émouvant sillon entre ses
cuisses. Il prouva une chaude tendresse qui sans doute tenait de la magie, car
elle avait l'air d'une sorcière, avec ses longs cheveux flottant derrière elle
comme une flamme rousse.
A l'idée
qu'elle
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