Le médecin d'Ispahan
matraques
et continuèrent à coups de poing. Ils le poussèrent hors de l'école en le
soutenant sous chaque bras, puis le traînèrent, attaché entre deux de leurs
chevaux. Chaque fois qu'il tombait, à trois reprises, l'un d'eux mettait pied à
terre et le relevait à coups de pied dans les côtes. Le chemin lui parut long,
mais, comme il l'apprit plus tard, ils s'arrêtèrent, juste derrière la
madrassa, à un petit bâtiment de brique qui servait de tribunal au niveau le
plus bas de la justice islamique.
Assis devant
une table de bois, un barbu à l'air méchant, aux cheveux en broussaille et vêtu
d'une robe noire, était en train d'ouvrir un melon. Les quatre soldats
poussèrent Rob vers la table et attendirent respectueusement, tandis que le
magistrat extrayait d'un ongle sale les pépins qu'il jetait dans un bol en
terre ; puis il découpa le melon en tranches et le mangea lentement. Après
quoi, il essuya ses mains et son couteau sur sa robe, se tourna vers La Mecque
et rendit grâces à Allah. La prière finie, il soupira et leva les yeux vers les
soldats.
« C'est
un fou, dit le grêlé, un Juif d'Europe qui troublait l'ordre public. Arrêté sur
plainte de Hadji Davout Hosein, contre lequel il a proféré des menaces. »
Le mufti hocha
la tête et retira de l'ongle un reste de melon entre ses dents. Il regarda Rob.
« Tu n'es
pas un musulman et c'est un musulman qui t'accuse. La parole d'un infidèle ne
peut être acceptée contre celle d'un croyant. Connais-tu un musulman qui puisse
prendre ta défense ? »
L'accusé tenta
de parler mais il ne vint aucun son et ses jambes se dérobèrent sous lui. Les
soldats le redressèrent d'une bourrade.
« Pourquoi
te conduis-tu comme un chien ? Bon. Un infidèle, après tout, ne connaît
pas nos usages, cela mérite quelque indulgence. Mettez-le au carcan, à la
disposition du kelonter. »
A la prison,
les soldats le confièrent à deux gardiens qui le poussèrent le long de cachots
sinistres d'une humidité nauséabonde, jusqu'à une cour intérieure en plein
soleil où de misérables humains, inconscients ou gémissants, occupaient deux
longues rangées de carcans. Ils l'arrêtèrent devant une place vide.
« Passe
là-dedans ta tête et ton bras droit. »
Par une
crainte instinctive, Rob recula, ce qu'ils interprétèrent à juste titre comme
une résistance. Alors ils le frappèrent et, quand il fut à terre, le bourrèrent
de coups de pied ainsi que l'avaient fait les soldats. Enfin, le manipulant tel
un sac de farine, ils introduisirent dans la position requise son cou et son
bras droit puis rabattirent la partie supérieure du carcan et la clouèrent
avant d'abandonner leur victime à peu près inconsciente, sans espoir, sans
recours, sous un soleil de plomb.
38. LE CALAAT
Ces piloris très particuliers étaient faits d'un rectangle et de deux carrés de
bois disposés en triangle, au centre duquel la tête de Rob se trouvait
prise ; si bien que son corps accroupi était en même temps à demi
suspendu. Sa main droite, celle qui nourrit, était fixée par un bracelet de fer
à l'extrémité de la plus grande longueur, puisque le condamné au carcan ne
mange pas. La main gauche, celle qui essuie, restait libre car le kelonter,
prévôt de la ville, était un homme civilisé.
Par moments,
Rob reprenait conscience en considérant la double rangée de suppliciés :
au-delà, à l'autre bout de la cour, il y avait un billot de bois. Il rêva qu'un
démon brandissait une grande épée et tranchait la main droite d'un homme à
genoux, tandis que d'autres personnages en robes noires, priaient. Le rêve se
répétait sans fin sous le soleil brûlant, puis la scène changeait : un
inconnu avait, cette fois, la nuque sur le billot, les yeux au ciel, exorbités.
Allait-on le décapiter ? Non, on lui coupait la langue. Quand Rob releva
les paupières, il n'y avait plus ni démons ni personne mais, sur le billot et
tout autour, le sang frais n'était pas un rêve.
Respirer était
douloureux ; on l'avait tant battu qu'il avait peut-être des côtes
cassées. Il pleura silencieusement, puis essaya de parler à ses voisins, en
tournant avec précaution la tête, car le bois meurtrissait la peau de son cou.
A sa droite, un jeune homme le regardait fixement, muet, stupide ou dérouté par
son persan approximatif. Son voisin de gauche, fouetté à en perdre
connaissance, fut trouvé mort quelques heures plus tard par un gardien, qui
l'enleva
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