Le médecin d'Ispahan
déchirée et la bouche tordue par une
blessure à la joue droite. Je m'appelle Khuff, capitaine des Portes. J'ai droit
aux corvées, tu vois ! »
Remarquant le
cou à vif, il sourit.
« Le
carcan, hein... ? Une belle saloperie ! »
Ils quittèrent
la salle des Piliers et prirent le chemin des écuries. Des cavaliers galopaient
d'un bout à l'autre de la prairie, armés de longs bâtons comme des houlettes de
berger.
« Ils
vont se battre ?
– Non, c'est
un jeu : il s'agit de frapper une boule de bois. Tu as beaucoup à
apprendre ! Sais-tu seulement ce que c'est qu'un calaat ? Non ?
Autrefois, quand quelqu'un trouvait grâce aux yeux d'un roi de Perse, le
souverain lui remettait un de ses propres vêtements en témoignage de
satisfaction. Aujourd'hui, le " vêtement royal " consiste
en une pension, un costume complet, une maison et un cheval.
– Alors, je
suis riche ?
– Il y a
toutes sortes de calaat, dit Khuff avec ironie. Un ambassadeur a reçu des
habits superbes, un palais et un coursier au harnais incrusté de pierres
précieuses. Mais tu n'es pas ambassadeur ! »
Dans un vaste
enclos derrière les écuries tourbillonnaient une multitude de chevaux. Le
Barbier disait souvent qu'il fallait choisir un cheval qui ait une tête de
princesse et un cul de putain. Rob en vit un gris qui, en plus de tout cela,
avait un regard royal.
« Je peux
choisir cette jument, »demanda-t-il.
Khuff ne prit
même pas la peine de répondre que c'était une monture de prince, mais un
étrange sourire passa sur sa bouche tordue. Il partit à cheval explorer le
troupeau et ramena un hongre brun, robuste et sans esprit, aux jambes courtes
et aux fortes épaules. L'animal était marqué au fer chaud d'une grande tulipe
près de la cuisse.
« C'est
la marque du chah, le seul éleveur de Perse. Tu peux échanger celui-ci contre
un cheval portant la même tulipe mais tu ne dois pas le vendre. S'il meurt,
découpe la peau avec la marque et je te l'échangerai contre un autre. »
Il lui remit
une bourse, qui contenait moins de pièces que Rob n'en gagnait avec le
Spécifique en un seul spectacle. Dans un entrepôt voisin, il lui trouva une
selle de l'armée. Les vêtements étaient de bonne qualité mais simples :
une culotte bouffante retenue à la taille par un cordon, des bandes de lin à
enrouler de la cheville au genou, une chemise vague, une tunique, deux
manteaux, l'un court et léger, l'autre long et doublé de mouton ; enfin un
turban brun et un support en forme de cône autour duquel le draper. Rob voulait
un turban vert.
« Celui-ci
est mieux ; le vert est d'une étoffe lourde et médiocre. C'est bon pour
les étudiants et les pauvres. »
Devant son
insistance, Khuff finit par céder en lui jetant un regard de mépris. De jeunes
serviteurs aux yeux vifs se précipitèrent pour amener au capitaine des Portes
son cheval personnel, un étalon arabe qui ressemblait à la belle jument grise
dont Rob avait eu envie. Monté quant à lui sur son paisible bourrin, avec son
ballot d'habits neufs, il se mit en route comme un propriétaire, derrière
Khuff, vers le quartier juif.
Après un long
chemin à travers ses rues étroites, ils finirent par s'arrêter devant une
petite maison de vieilles briques rouges. Un toit posé sur quatre poteaux
tenait lieu d'écurie. Dans le minuscule jardin, un lézard fit un clin d'oeil à
Rob avant de disparaître entre les pierres du mur ; quatre abricotiers
ombrageaient des buissons d'épines qui auraient eu bien besoin d'être élagués.
Il y avait trois pièces, l'une au sol de terre battue, les autres de briques
usées par les pas de nombreuses générations. Le cadavre desséché d'une souris
traînait dans un coin.
« Tu es
chez toi », dit Khuff, et avec un signe de tête, il s'en alla.
Le pas du
cheval résonnait encore dans la rue quand Rob, s'effondrant sur la terre
malpropre, rejoignit la souris morte dans l'oubli.
Il dormit
dix-huit heures et se réveilla ankylosé comme un vieillard. Assis dans la
maison silencieuse, il regarda danser la poussière le long du rayon de soleil
que laissait entrer le trou de fumée. Tout semblait quelque peu délabré :
le plâtre des murs se fissurait, le bord des fenêtres s'effritait. Mais c'était
sa première demeure depuis la mort de ses parents.
Dans la petite
grange, il découvrit avec horreur que son nouveau cheval était resté sellé,
sans nourriture et sans eau. Il le fit boire dans son chapeau,
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