Le médecin d'Ispahan
géométriques
ou des citations du Coran : « Il n'est de Dieu que Lui seul, le
Miséricordieux », « Combats pour la religion de Dieu »,
« Malheur à ceux qui sont négligents dans leur prière ».
Dans les rues,
une foule d'hommes enturbannés, mais pas de femmes. Rob traversa une place
immense, puis une autre plus loin, en savourant les sons et les odeurs. C'était
une grande communauté humaine, fourmillante, comme il en avait connu à Londres
étant enfant et, sans savoir pourquoi, il se sentit à sa place et à l'aise, chevauchant
à loisir dans cette cité, au nord du Fleuve de la Vie.
Appelant les
fidèles à la prière, du haut des minarets, des voix mâles lui parvenaient, les
unes faibles et lointaines, d'autres toutes proches. La circulation s'arrêta.
Tous les hommes de la ville, tournés vers La Mecque, tombèrent à genoux, les
paumes au sol, et se prosternèrent en pressant leur front contre les pavés. Rob
s'arrêta et mit pied à terre, par respect. Le rite achevé, il aborda un homme
d'un certain âge qui roulait son petit tapis de prière, et lui demanda où se
trouvait le quartier juif.
« Le
Yehuddiyyeh ? Tu descends l'avenue de Yazdegerd jusqu'au marché juif, et
au bout du marché tu trouves une porte qui te mène à ton quartier. Tu ne peux
pas te tromper, dhimmi. »
La place était
bordée d'échoppes qui vendaient des meubles, des lampes et de l'huile, du pain,
des pâtisseries qui embaumaient le miel et les épices, des habits et toutes
sortes d'ustensiles, fruits, légumes, viande, poissons, poulets plumés ou vifs.
Ailleurs, des châles de prière, des vêtements à franges, des phylactères. Ici,
un écrivain public, là une diseuse de bonne aventure. Les femmes portaient de
larges robes noires et des fichus sur leurs cheveux ; quelques-unes
étaient voilées à la manière des musulmanes, les hommes barbus et vêtus comme
Rob. On s'interpellait, on plaisantait, on se querellait. Il fallait hausser le
ton pour se faire entendre.
Après la porte
au bout du marché, des ruelles tortueuses descendaient jusqu'à un quartier aux
rues étroites et aux maisons délabrées ; quelques-unes, isolées, avaient
un petit jardin. Ispahan semblait vieux, mais Yehuddiyyeh bien davantage. La
brique des murs virait au rose pâle. Des enfants menaient une chèvre, les gens
bavardaient en riant, par petits groupes. L'heure du dîner approchait et les
odeurs de cuisine vous mettaient l'eau à la bouche.
Rob trouva une
écurie où il laissa ses bêtes après avoir soigné le flanc de l'âne, qui était
en voie de guérison. Puis il entra dans une auberge tenue par un grand
vieillard au bon sourire et au dos tordu, qui s'appelait Salman le Petit.
« Pourquoi
le Petit ?
– Dans mon
village, mon oncle était Salman le Grand : un érudit célèbre... Tu veux
manger ? »
Après avoir
loué une paillasse dans un coin de la vaste chambre commune, Rob prit des
brochettes, du pilah et des petits oignons noircis par le feu.
« C'est
bien kascher ? s'empressa-t-il de demander.
– Bien sûr. Tu
peux manger sans crainte. »
Salman lui
servit encore des gâteaux au miel et une boisson rafraîchissante qu'il appelait
un sherbet .
« Tu
viens de loin, dit-il.
– D'Europe.
– Oui.
– Comment le
sais-tu ?
– A ta manière
de parler notre langue... Mais tu apprendras, ne t'inquiète pas. Comment est-ce
d'être juif en Europe ?
– C'est dur,
répondit Rob en se rappelant ce qu'avait dit Zevi. Et d'être juif à
Ispahan ?
– Pas mal...
Les gens, instruits par le Coran, nous traitent de tous les noms, mais nous
nous sommes habitués les uns aux autres. Il y a toujours eu des Juifs à
Ispahan. Nabuchodonosor, quand il eut conquis la Judée et détruit Jérusalem,
ramena ici des Juifs prisonniers. Neuf cents ans plus tard, le chah Yazdegerd
est tombé amoureux d'une Juive, l'a épousée et elle a fait beaucoup pour son
peuple. »
Après dîner,
ils allèrent ensemble à la maison de la Paix, l'une des innombrables
synagogues : pas de fenêtres, mais des meurtrières et une porte si basse
que Rob dut se pencher pour entrer. A l'intérieur, des lampes éclairaient les
piliers, mais la voûte se perdait dans l'obscurité. Les femmes se tenaient à
part dans un réduit derrière un mur. Un hazzan dirigeait la prière et,
toute l'assemblée marmonnant ou chantant, un hébreu médiocre et des prières
hésitantes pouvaient passer inaperçus.
Sur le chemin
du retour, Salman, avec
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