Le méridien de Paris - Une randonnée à travers l'histoire
Quand ce n’étaient pas les communistes qui interrompaient le
travail, c’étaient les trains de charbon qui
restaient bloqués à cause des quantités
record de neige et du gel des systèmes
d’aiguillage.
Cette impression subsiste quand on voit
un des classiques du cinéma Quai des
Orfèvres d’Henri-Georges Clouzot (1947), avec Louis Jouvet dans ce qui est de loin
son meilleur rôle (le hasard veut que le
D ans les années cinquante, Paris
sortait tout juste de la guerre et
des privations des premières
années suivant la Libération.
film passe à la télévision alors que je suis
L’existentialisme de Sartre et les caves de
en train de lire un livre sur Paris après la
Saint-Germain donnaient l’impression que
libération !). Le film semble vouloir confirmer les temps de Montparnasse avec leur foison-les observations de Miller. Les personnages
nement artistique se poursuivaient tout sim-
portent de lourds manteaux d’hiver à l’intérieur plement dans le quartier d’à côté. Ce que put du commissariat ou sont assis à leur bureau,
être Paris avant et après la Libération, on
une couverture jetée sur la tête et les épaules.
peine déjà à l’imaginer aujourd’hui. Lisez par Les musiciens, mis en scène dans les
exemple Paris libéré d’Antony Beevor et cabarets et music-halls qui étaient alors la
Artemis Cooper qui raconte une multitude
grande mode, soufflent sans cesse sur leurs
d’anecdotes et de tableaux d’ambiance.
mains. Les rares fois où il y a un petit
Parmi toutes les publications sur le Jour J,
calorifère, comme dans le bureau de Jouvet
ce livre offre une chronique des plus sympa-
au palais de Justice du quai des Orfèvres,
thiques d’une ville pleine de traîtres qui se rendu si célèbre par Maigret notamment, il se voulaient résistants. On en garde l’image
trouve qu’il n’y a plus de charbon !
d’un Paris où il faisait froid avant tout, où Arthur Miller fut parmi les éclaireurs d’un nourégnaient la pauvreté et la peur d’une
veau flux de jeunes Américains disposant de
troisième guerre mondiale.
dollars d’autant plus solides que le franc
français avait été dévalué à plusieurs reprises.
Paris maussade
L’afflux ne fut toutefois pas comparable au
Hiver 1947 à Paris, Arthur Miller ne retrou-
déferlement de l’entre-deux-guerres, lorsque
ve rien du centre du monde si cosmopolite
la littérature du nouveau monde avait élu
d’antan, mais aperçoit une métropole
domicile à Montparnasse, mais Paris n’en
délabrée, « achevée » par la guerre. Il écrit resta pas moins un rêve américain.
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L e M é r i d i e n d e P a r i s
Étonnamment, la France était pour lui ce que
La Hollande à Paris
les États-Unis sont pour bien des Français
Un grand nombre d’artistes expérimentaux
grâce aux vieux films américains. Ce pays
néerlandais fut également attiré par la
n’est qu’une grande usine à rêves, un gigan-
capitale française au point de venir s’y
tesque Hollywood ; Kousbroek pensaient la
installer. Ce n’était pas un hasard si ces
même chose, mais des studios de Boulogne !
rebelles des Pays-Bas venaient précisé-
Il a écrit sur son arrivée à Paris. Ses phrases ment à Paris pour prendre un grand bol de
reflètent aussi mes sentiments, même si la
vent de liberté. Malgré la désillusion initiale ville s’est révélée à moi à travers la Nouvelle de Miller, la réputation de la Ville lumière
Vague. « En descendant du train à la gare du
comme « mère de tous les arts » restait
Nord en 1950, je vis les larges rues baignées intacte. Même si l’Amérique avait commencé
de la lumière du matin, avec l’eau argentée
à exercer une grande fascination, New York
qui coulait dans les caniveaux, l’architecture semblait à cette époque désespérément
monumentale qui me faisait parfois l’impression loin. De plus, c’était à Paris que venaient les irréelle d’un décor de cinéma. Cela devait être Américains eux-mêmes, intellectuels,
la plus grande aventure intellectuelle de ma vie, artistes et surtout musiciens de jazz.
et la sensation de libération perdure encore. »
Dans sa préface au catalogue de la manifes-
tation La France aux Pays-Bas (1985), l’auteur néerlandais Rudy Kousbroek écrit que, pour
La naissance de Cobra
les intellectuels de sa génération, c’était
Le 8 novembre 1948, un groupe d’artistes
« comme un
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